Parisienne depuis sa plus tendre enfance, Carine Roitfeld a grandi au sein d'un milieu aisé. Son père, Jacques Roitfeld, producteur russe, n'était pas souvent à la maison, pourtant elle le décrit comme son idole. Sa mère était une femme discrète au style très classique. La vie de Carine s'oriente vers la mode lorsque lors de ses 18 ans, un photographe anglais l'aperçoit dans Paris et lui propose de débuter une carrière de mannequin.
Elle fera la couverture de « Look Now » un magazine de teenage british', puis c'est Kenzo qui tombera sous son charme et en fera sa muse. Cependant, cela est plus anecdotique que substantiel, car la jeune Carine ne se sent pas l'âme d'un top model : elle préfère décrypter la mode plutôt que d'uniquement la porter. C'est ainsi qu'elle devient pigiste, puis styliste pour Elle.
Plus tard, Carine Roitfeld déclarera que la vie est faite de rencontres et qu'elles sont le moteur, la dynamique d'un destin. La styliste parle en connaissance de cause : son chemin est entièrement jalonné d'interactions entre elle et d'autres protagonistes, qui furent décisives. En 1986, Carine Roitfeld est styliste freelance sur une série mode pour le Vogue enfant italien (sa petite fille Julia fait d'ailleurs partie du casting).
Le tout est shooté par Mario Testino, le photographe péruvien, qui commençait alors à être une valeur sûre du milieu. Entre lui et Carine Roitfeld, c'est le coup de foudre professionnel. Ils travailleront désormais en équipe, tant dans la pub que sur des shootings mode très select commandés par Vogue. Dès lors, la carrière de Carine Roitfeld prend un sérieux virage : au contact de Testino, elle apprend énormément et prend conscience de sa propre valeur, de son fameux "flair".
Elle-même reconnaît qu'avant leur rencontre, elle avait tendance à voir les choses de manière plutôt négatives. Mario Testino lui a insufflé son énergie et son enthousiasme, et à ses côtés, elle devint l'une des meilleures. Le duo commence à fait parler de lui, leur travail est reconnu et très prisé. Tant et si bien qu'ils finissent par attirer l'attention du fameux Tom Ford. Ce dernier désire collaborer avec eux afin de transformer l'image de Gucci.
Cependant, dans un premier temps Roitfeld et Testino déclinent son offre, mais le Texan s'acharne et finit par obtenir leur accord. Ce sera la deuxième rencontre décisive pour Carine Roitfeld, qui devient la muse et l'inspiratrice de Tom Ford. À eux trois, ils lancent un pavé dans l'univers bien pensant de la mode en érigeant le porno chic au summum du luxe : Gucci existe à nouveau.
L'univers de la mode - et surtout ceux qui en tirent les ficelles - commence à prendre très au sérieux cette Roitfeld. En effet, ses intuitions tombent souvent juste, elle sait comme personne humer l'air du temps et se trouve dans les petits papiers d'un grand nombre d'acteurs de la sphère fashion. C'est pourquoi en 2001, c'est à elle que Jonathan Newhouse, le PDG de Vogue, propose le poste de rédactrice en chef de Vogue Paris.
Troisième rencontre, troisième tournant et immense challenge pour Carine Roitfeld qui jusqu'alors n'avait jamais eu en charge la direction d'une équipe et encore moins d'un magazine entier. Cependant, elle accepte de relever le défi, en faisant grincer quelques dents, car beaucoup ont eu peur qu'elle vampirise Vogue à coup de campagnes scandaleuses (réminiscences de l'épisode porno chic/Tom Ford).
Elle prend donc la charge des bureaux du Faubourg saint Honoré, mais y supervise encore de nombreuses séries mode en tant que styliste. La voilà rédactrice en chef de l'opus français du magazine le plus influent en matière de tendances. Tout passe désormais par elle : le devenir des jeunes mannequins, l'avenir de telles ou telles collections, l'encensement de telle ou telle star... Carine Roitfeld fait la pluie et le beau temps à sa manière en bousculant les bien pensants.
Car la ténébreuse commander in chief désire emmener Vogue vers des horizons un peu moins conventionnels, sans pour autant le dénaturer. Elle affectionne les séries mode un brin décadentes où sexe, préjugés et contre emplois servent de prétexte à la mise en valeur d'un look. Elle déclarera même : "On n'est jamais parfait si on n'est pas un peu scandaleux", ce qui semble être sa ligne de conduite. Loin de déplaire, ce choix booste les ventes.
Carine Roitfeld n'est elle aussi pas très conventionnelle. Elle revendique aimer la légèreté, les films grand public et... Paris Hilton. Elle l'a d'ailleurs prouvé en faisant fi du qu'en-dira-t-on en la plaçant en couverture du magazine. Elle aime également jouer avec le feu et mettre en scène la très redoutée Anna Wintour dans une série de mode shootée par Testino et dirigée par ses soins. Elle est également fan des shows à l'américaine type défilés Victoria's Secret.
Elle ne pratique pas la langue de bois et reconnaît ainsi avoir un véritable pouvoir, certes pour lancer des carrières, mais aussi plus en profondeur, car son statut et sa personnalité ont fait d'elle une conseillère recherchée. On l'appelle pour avoir son avis sur le changement de directeur artistique de telle ou telle maison de couture, pour savoir quel maquilleur choisir ou quelle mannequin shooter. Bref, son avis compte, car elle ne le délivre jamais à la légère.
Carine Roitfeld a créé autour d'elle une équipe jeune et dynamique qui la seconde au mieux, mais c'est par son bureau que tout passe afin d'être validé. Bureau qu'elle maintient vierge de tout accessoire, de manière à pouvoir se focaliser uniquement sur ce qu'on lui montre. C'est également une femme de terrain qui a besoin d'être auprès des créateurs, dans les villes qui bougent et à tous les défilés.
Elle y puise son énergie et y glane des sensations, des impressions qui lui feront sentir les nouvelles tendances, et ce bien avant le commun des mortels. À moins que ce soit elle qui soit à l'origine de ces dernières... à ce niveau les pistes se brouillent. Carine Roitfeld semble plus accessible qu'Anna Wintour, son homologue américaine. Peut-être cela vient-il du fait que la vie personnelle de la Française est plus stable.
Elle est en ménage depuis 30 ans avec le même homme, Christian Restoin, lui-même riche patron textile. Elle a eu deux enfants (Julia, qui l'accompagne très souvent et qui est le visage du parfum de Tom Ford, et Vladimir) qu'elle a pu voir grandir grâce ses emplois du temps flexibles de styliste freelance. Son poste de rédactrice en chef est arrivé juste au bon moment, celui où ses enfants commençaient à voler de leurs propres ailes, elle a donc pu lui consacrer tout son temps. Une configuration parfaite sans compromis ni choix douloureux...
En plus d'avoir une tête bien pleine et un feeling infaillible que lui envie plus d'une rédactrice de mode, Carine Roitfeld est devenue une véritable icône de mode. Ses yeux au maquillage fumé, ses tenues pointues et son allure doucement rock and roll ont fait d'elle un modèle du genre. Ils sont à l'image de sa personnalité : affranchis et intuitifs... Elle a déclaré récemment qu'elle ne quitterait Vogue Paris pour rien au monde, même si on lui proposait le poste d'Anna Wintour.
Sa liberté lui est trop chère, elle juge qu'en France Vogue peut se permettre des choses qui ne passeraient pas Outre-Atlantique... Après 6 ans à la tête du magazine, les challenges devaient lui manquer, car elle vient de prendre la direction avec Olivier Lalanne de Vogue Homme International. Celle qui dit avoir vécu au jour le jour toute sa vie, et n'avoir fait aucun plan de carrière, ne s'est finalement pas si mal débrouillée...