L'aventure American Apparel, c'est avant tout un homme, une passion, un feeling. Dov Charney juif canadien, petit fils d'architecte et fils de Sylvia Safdie (artiste peintre), a senti très vite, en voyant ses copains se faire pas mal d'argent en vendant des tee-shirts à la fin des concerts, qu'il y avait un filon à exploiter. Cependant, le jeune Dov est un idéaliste doublé d'un perfectionniste, et la qualité médiocre des tee-shirts canadiens ne le satisfait pas : il veut du 100% coton et cela il ne peut le trouver qu'aux USA.
En effet, nous sommes au milieu des années 80 et l'entreprise leader sur le marché du tee-shirt, Hanes, crée l'événement en proposant un produit ultra résistant, XXL et unisexe, mais peu seyant. Le tee-shirt de cette époque est usuel, basic, et ne se pense pas comme un accessoire de mode. Dov Charney s'envole donc pour l'Amérique, persuadé d'y trouver le secret du jersey de coton parfait.
C'est en Caroline du Sud qu'il atterrira, le berceau textile des États-Unis et plus précisément de la production de tee-shirt. Il y crée sa marque, American Heavy, et durant huit ans travaille avec ces ouvriers qualifiés, fiers de leur savoir-faire. Cependant, on est encore loin de l'esprit trendy d'American Apparel... Il faudra pour cela attendre que les industries textiles du sud soient délocalisées au Mexique, ce qui poussera Dov Charney sur les routes, à la quête d'une idée novatrice, d'un concept révolutionnaire…
C'est en observant les sud américaines de Miami qu'il a le déclic : les jeunes filles portent des tee-shirts ajustés qui les rendent incroyablement sexy. C'est décidé, pour lui le temps des tee-shirts rectangles oversize est révolu, il va donc produire un produit destiné à la femme et conçu pour elle. Il met au point un coton plus extensible que ceux utilisés sur le marché, et une coupe plus étroite : le "baby-T" est né, American Apparel voit le jour.
Les concurrents sont dubitatifs, mais Dov Charney sait qu'il est dans l'air du temps. La mode urbaine dépasse la tendance Surf, le mouvement hip-hop émerge, le style des jeunes évolue, les filles ne sortent plus en tee-shirt XXL mais piquent les "small" de leurs petites soeurs. En dépit de cette mutation flagrante de la jeunesse et de ses centres d'intérêt, Charney est le seul à leur emboîter le pas.
Les géants du textile Hanes et Fruit of the Loom refusent de changer de ligne de conduite, et continuent à traiter le tee-shirt comme un produit de masse. Le mot "styliste" est pour eux inconnu, alors que pour Dov Charney il est l'une des pierres d'angles de son label. Il installe ses ateliers et son bureau à Los Angeles et constitue une équipe de création très hétéroclite : les dessinateurs japonais y côtoient d'anciennes call-girls, ainsi que plus tard des stars en quête de bonne action.
Car Dov Charney est certes un homme d'affaires, mais sa conception du monde du travail dépasse la quête du profit désincarné, il veut faire cohabiter le bien-être de ses employés et sa réussite financière. Sa philosophie tient dans les mots de Paul Hawken : "Le but ultime du commerce n'est pas - ou ne devrait pas être - simplement de faire de l'argent. Le but du commerce est d'améliorer le bien-être général de l'humanité à travers les services, l'invention créatrice et la déontologie."
En dépit d'avoir l'impression de fonctionner à contre-courant, Dov Charney va tenter de vivre le capitalisme différemment :
Ses tee-shirts sont des tee-shirts équitables. En effet, il fait produire toutes les collections d'American Apparel dans ses ateliers en Californie. Il ne délocalise rien. Grâce à l'implantation de ses usines à Los Angeles, il fait vivre toute une partie de la population.
Il paie correctement ses ouvriers, plus que le minimum syndical. Car pour lui, si ses ouvriers sont heureux au travail, l'entreprise ne s'en portera que mieux. Il leur offre des cours d'anglais gratuits afin que les immigrés puissent s'intégrer au mieux.
Les enjeux environnementaux le préoccupent, de telle sorte que tous ses tee-shirts sont désormais réalisés en coton 100% biologique, et que les chutes de tissus récupérées dans les ateliers sont entièrement recyclées.
En affichant une croissance importante, rapide et dynamique, Dov Charney prouve à la face du monde que les délocalisations, les salaires de misère et les conditions de travail détestables ne sont pas le pendant inévitable de la réussite d'une entreprise. American Apparel est ainsi devenu en 12 ans le plus gros fabricant textile des USA.
Ce discours, cette éthique font mouche. Les Américains sont touchés par cette prise de position à contre-pied des sweatshops (ateliers de misère utilisés par certains grands labels, pour faire produire à moindre coût leur marchandise). Ils adhérent et font des tee-shirts American Apparel un élément incontournable de leur garde-robe. Les Européens s'y mettent petit à petit, même si la marque n'est encore connue que d'un certain milieu d'initiés.
Des catalogues de la marque, qui n'utilisent aucun mannequin pro et qui leur préfèrent la diversité cosmopolite de la jeunesse actuelle, en passant par le parcours "tout est possible" de certains cadres de la chaîne - qui du statut d'immigrés clandestins accèdent au poste de chef de boutique - Dov Charney a fait de son entreprise une petite bulle commerciale à vocation internationale et branchée, tout en restant un idéaliste convaincu.
Désormais American Apparel a des boutiques dans toute l'Europe, les collections touchent femme, homme, enfants, et même les chiens… Récemment, les gammes de produits se sont élargies (toujours dans le même coton 100% bio) : on y trouve des écharpes, des petites robes, des sweats, des collants… avec le seul logo autorisé par le chef : la petite étiquette dans le cou made in Los Angeles.
Boutiques :
41, rue du Temple 75004 Paris
7, rue Gozlin 75006 Paris
10, rue Beaurepaire 75010 Paris
31, place du Marché St-Honoré 75001 Paris
Par Lise Huret, le 30 août 2007
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