Lanvin

Lanvin fut avant tout le creuset des envies d'une femme en avance sur son temps. C'est ainsi à la volonté, au dynamisme et à l'éclectisme de Jeanne Lanvin que l'on doit la direction avant-gardiste que prit sa maison au début du siècle. Couturière au talent prolixe et visionnaire, elle sut insuffler une âme moderne à son entreprise qui aujourd'hui perdure encore sous le crayon d'Alber Elbaz.

Si Jeanne Lanvin construisit un empire du luxe, rien à sa naissance ne l'y prédisposait… En 1867, elle est le premier enfant d'une famille qui en comptera 11. Ses parents vivent dans la plus grande pauvreté, cependant la misère leur sera évitée grâce à Victor Hugo, proche d'un de leur aïeul, qui veillera aux besoins de la famille.

Jeanne commence très tôt à travailler, et débute à l'âge de 13 ans chez une modiste dont elle livrera les confections dans le tout Paris. Quelques années plus tard, elle entre en apprentissage chez Suzanne Talbot et y développe un véritable talent, ses chapeaux sont de véritables petites merveilles de raffinement. Elle se voit proposer un poste chez Felix - grand chapelier de l'époque - et y perfectionne ses connaissances techniques.

Les approbations qu'elle reçoit et les regards admiratifs que suscite son travail poussent la jeune Jeanne à croire en son destin. Elle s'installe dans une petite mansarde parisienne et commencera par confectionner des chapeaux de poupées qui remporteront un fier succès. De fil en aiguille, elle parvient à se faire connaître, déménage plusieurs fois et finit par installer sa maison de modiste au 22 faubourg Saint Honoré.

L'événement qui transformera la petite modiste aux doigts de fée en une grande dame de la couture fut sans conteste la naissance de sa fille Marguerite, issue du fruit de son mariage avec Emilio Do Pietro. Jeanne lui voue une véritable passion et se met à lui confectionner d'adorables toilettes, brodées, plissées ou nervurées, qui sont à elles seules de véritables enchantements. Ce sont les mères admiratives et envieuses, désirant les mêmes atours pour leurs progénitures, qui convaincront Jeanne de lancer une collection pour enfants. En 1901, le nom de Lanvin commence à être reconnu. Jeanne se voit alors confier la réalisation du costume et du chapeau d'académicien d'Edmond Rostand. En 1903, elle crée la section enfant de sa maison, qui à l'origine ne confectionnait que des chapeaux. Cet acte est en lui-même une petite révolution, car à l'époque l'enfant ne bénéficiait pas d'une attention privilégiée en matière de vêtements.

En 1908, c'est au tour des femmes d'obtenir les grâces de Madame Lanvin, qui crée alors les départements "femme" et "jeune fille". C'est à ce moment qu'elle officialise son nouveau statut - passant de modiste à grande couturière - en s'inscrivant à la chambre syndicale. Très vite, le style Lanvin fait mouche.

Jeanne, qui après son divorce s'est remariée avec Xavier Melet (journaliste, puis consul) voyage énormément. Elle est avide de tout voir, tout connaître, tout sentir. Les populations qu'elle découvre la séduisent, leurs savoir-faire la subjuguent et leurs patrimoines esthétiques l'enivrent. C'est ainsi qu'en 1909 elle met au goût du jour des toilettes aux influences orientales, s'inspirant des drapés indiens, des broderies égyptiennes et des étoffes persanes. Son style est raffiné, élégant, riche de détails précieux.

Durant la guerre, afin de continuer à travailler en dépit de la pénurie de matière, elle monte sa propre usine textile à Nanterre. Jeanne Lanvin démontre ainsi qu'elle est une femme de caractère qui ne compte pas se laisser abattre par la conjoncture… Les années 20 annoncent d'ailleurs la gloire de la maison Lanvin : les toilettes étincelants de milles sequins, les coupes aux lignes pures et les broderies art déco dessineront la silhouette de l'époque. Jeanne Lanvin est férue de découvertes : elle collectionne les toiles impressionnistes, compulse les ouvrages traitant de la Grèce Antique, lit des traités d'ethnologies, archive des tissus venant de Russie, d'Orient, d'Afrique ou encore d'Amérique du Sud. C'est d'un tableau florentin qu'elle extraira le fameux bleu Lanvin qui, de retour à Paris, deviendra l'une de ses marques de fabrique.

Elle s'inspire du passé, du présent et d'ailleurs, afin de donner naissance à un style unique fait de contrastes entre mat et brillant, opacité et transparence, couleurs poudrées et teintes nocturnes, matelassé et dentelle, velours et tulle. Ses lignes sont épurées, ses silhouettes fluides et longilignes. Le département femme vient s'étoffer d'une section robes de mariée et robes du soir, mais elle développe également un département sport. Elle est reconnue de par le monde comme la prêtresse de l'élégance.

En véritable femme d'affaires, elle étend son empire avec méthode et construit ce que cinquante années plus tard nous aurions appelé le "lifestyle" Lanvin. C'est ainsi que Lanvin homme, Lanvin Fourrure, Lanvin Tailleur et Lanvin Lingerie voient le jour en une dizaine d'années, tandis que les points de vente de la marque s'étendent bien au-delà des frontières des villes huppées de l'hexagone.

En 1927, après presque 30 ans de carrière, Jeanne Lanvin monte Jeanne Lanvin SA et Lanvin Parfums SA. Car si elle excelle dans le textile, Jeanne Lanvin n'en a pas moins la créativité bridée. C'est pourquoi très vite elle s'est lancée dans les parfums - qui deviendront l'un des fers de lance de la maison - mais aussi dans la décoration. Pour la partie Design, Armand Rateau, architecte d'intérieur renommé, est à ses côtés. Chacune des boutiques Lanvin sera pensée et décorée par ses soins. Malgré l'importance que Jeanne leur accorde, les tout premiers parfums Lanvin ne marquent pas les esprits, et il faudra attendre 1927 pour qu'un nectar unique voit le jour, avec "Arpège". Son packaging, inventif, composé d'une sphère noire imaginée par Rateau et siglée de l'emblème Lanvin conçu par Paul Iribe (représentant Jeanne et sa fille chérie) deviendra également légendaire. Arpège connaît un succès foudroyant, et les crus qui suivront feront de même, jusqu'à "L'eau de Lanvin" crée en 1946. Par la suite, les parfums ne rencontreront plus le même succès.

Par ailleurs, Jeanne Lanvin s'intéresse au monde du spectacle et prend plaisir à jouer le rôle de costumière. C'est elle qui imaginera - en 1945 - les costumes du film "Les enfants du Paradis", ainsi que ceux de nombreuses pièces de Sasha Guitry.

En 1946, Jeanne Lanvin décède. Celle qui depuis le début avait pris soin de placer les siens aux postes stratégiques de la maison Lanvin s'en va sereinement, sachant que la succession est assurée. C'est donc sa fille qui présidera ses deux sociétés, qu'elle cèdera 13 ans plus tard à Yves Lanvin, l'un des neveux de Jeanne. La présidence sera assurée par des membres du clan jusqu'en 1989. Jusqu'à cette date, le département prêt-à-porter féminin et celui de la Haute Couture étaient également dirigés par une Lanvin ? Maryll Lanvin -, petite nièce de Jeanne.

En 1990, Henri Racamier (groupe Vuitton) et L'Oréal rachètent les deux SA Lanvin. Si les finances changent de mains, l'exigence et la qualité des ouvrages Lanvin perdurent. Claude Montana, qui en 1990 prend les rennes de la Haut Couture, sera récompensé par deux dés d'or. Néanmoins, après son départ, le département Haute Couture bat de l'aile. En 1993, la Haute Couture Lanvin disparaît, mais la maison conserve ses ateliers de sur mesure pour homme. En 1996, L'Oréal rachète toutes les parts de la société avec pour but de redorer le blason de la maison, qui avec le temps avait perdu cette dimension internationale qu'avait su lui insuffler Jeanne Lanvin. Le prêt-à-porter homme, dirigé par Dominique Morlotti, dégage un esprit assez fort pour soutenir le lancement d'une nouvelle eau de toilette : "Lanvin L'Homme".

Dans la branche prêt-à-porter femme, Cristina Ortiz offre un vestiaire dans la droite ligne des traditions de la maison, avec des silhouettes longilignes et des coupes épurées. Elle poursuit le même but que Jeanne Lanvin, qui était de faire passer les modèles du podium à la rue. Pour cela, elle tente de capter l'air du temps, afin de définir un idéal fugace de ce que devrait être la féminité.

En 2001, Lanvin est racheté par une femme d'affaires taiwanaise, Shaw-Lang Wang, et Alber Elbaz se voit confier le poste de directeur artistique. Depuis, grâce au petit styliste discret mais extrêmement talentueux, la plus ancienne des maisons de couture a repris un second souffle. Elbaz est à l'écoute des femmes comme l'était Jeanne Lanvin, et depuis bientôt sept ans comble leurs désirs en matière d'élégance et de sensualité. Site officiel : http://www.lanvin.com/