Depuis peu en rayon, un livre appelé « Manolo Blahnik Drawings » retrace l'évolution du styliste par le biais de croquis d'escarpins dessinés du maître, commentés par John Galliano, Sofia Coppola et Bianca Jagger, parmi d'autres. À travers 4 périodes, les 25 ans de carrière de Blahnik sont revisités. L'occasion rêvée pour y plonger à notre tour.
L'artiste est né en novembre 1942, à Santa Cruz de la Palma, dans les Îles Canaries. Sa mère est espagnole, son père tchèque, et il grandit dans une plantation de bananes. Cependant, ses parents investissent beaucoup dans l'éducation de leur fils, et dès son plus jeune âge, celui-ci connaît toutes les oeuvres de Velasquez et d'El Greco, tous les films de Cocteau et de Visconti, et reconnaît le style d'Yves Saint Laurent et de Balenciaga. Le talent du jeune garçon s'exprime déjà, puisqu'il confectionne pour les chats de la maison des petites chaussures en aluminium.
Pourtant, c'est la littérature qu'il part étudier à Genève, en 1965. Manolo se rêve décorateur de théâtre, et se réoriente pour cela vers des études artistiques à Paris. Pendant son temps libre, il est vendeur dans une boutique de mode, et dessine inlassablement des costumes de scène.
Le destin sonnera à sa porte lors d'un voyage à New York. Son amie Paloma Picasso le présente à Diana Vreeland, journaliste pour le Vogue américain, et il saute sur l'occasion pour lui montrer ses croquis. L'oeil exercé de la critique de mode s'arrête immédiatement sur les dessins de chaussures, et son verdict est tranché : c'est la création de souliers qui l'appelle.
Surpris mais convaincu à son tour, Blahnik s'attelle donc consciencieusement à la tâche : il visite des ateliers et des usines, et discute avec ouvriers et créateurs. Fort de tout ce savoir-faire appris sur le terrain, il crée ses premiers modèles. Son style est déjà tellement puissant qu'il décroche immédiatement sa première commande : il chaussera les mannequins du designer londonien Ossie Clark, en 1972.
De fil en aiguille, les créations de ce nouveau talent se retrouvent dans les rayons des magasins britanniques Midas, et en 1973, Manolo rachète une petite boutique dans Bond Street, nommée Zapata. Une certaine Bianca Jagger pousse un jour la porte du magasin, et tombe amoureuse du style Blahnik : dès lors, elle usera de son aura médiatique pour faire connaître son chausseur préféré. On se souvient notamment de son entrée très remarquée au studio 54, en 1977, sur un cheval blanc, les pieds estampillés Blahnik.
Un autre personnage apporta une importante contribution à cette fièvre médiatique : Carrie Bradshaw. Le célèbre personnage de « Sex and the City », journaliste new-yorkaise branchée incarnée par Sarah Jessica Parker, vendrait son âme au diable pour une paire de Manolo. Le succès international de la série retentit inévitablement sur la marque, et, signe de gratitude ou clin d'oeil complice, le styliste créa même une paire d'escarpins portant le nom de l'actrice.
C'est ainsi que, à force de s'attirer les bonnes grâces des VIP, Manolo Blahnik devint en un éclair le chausseur le plus réputé de son temps. Mais il ne s'agit pas d'un coup de chance : ses créations méritent leur succès. En effet, chacune d'entre elles est travaillée avec le plus grand savoir-faire, dessinée par le designer lui-même, qui la sculpte ensuite dans du bois, en portant une attention toute particulière au talon.
Lui seul détient le secret du fameux « décolleté » de ses chaussures, et de l'aiguisement de ses talons. De plus, si la plupart de ses modèles nous perchent à plus de 10 centimètres du sol, par un coup de baguette magique Blahnik, nous sommes en parfait équilibre, sur des escarpins presque confortables.
Mais ce qui crée l'hystérie générale de ces dames est bien sûr l'esthétique de ces chaussures : ce sont de véritables oeuvres artistiques pour pieds de stars, sur lesquelles n'importe quelle femme se sent belle, grande et sexy. Blahnik réinvente le soulier féminin, avec des formes azimutées, des mélanges de matières ou de couleurs, qui s'agrémentent de perles, rubans, lanières, plumes, strass, autant de petites touches irrésistibles qui font dire au maître : « mes chaussures ont quelque chose que les autres n'ont pas : de la personnalité. »
C'est pour toutes ses raisons réunies que le créateur fut récompensé à de multiples reprises, nommé deux fois créateur d'accessoires de l'année, et Docteur Honoris Causa de la Royal Society of Arts de Grande-Bretagne. Les plus grands créateurs font appel à ses talents pour habiller les pieds de leurs modèles durant les défilés Haute Couture, et il fut même celui qui chaussa Marie Antoinette dans le film de Sofia Coppola, récompensé par l'Oscar du meilleur costume.
Avec de nombreuses boutiques de New York à Hong Kong, en passant par les Philippines, et vendu dans les points de vente les plus prestigieux, le « magicien du talon haut » n'a pas fini de faire rêver les femmes du monde entier...