« Je suis le premier employé de ma maison », aime affirmer Giorgio Armani à qui veut l'entendre. Et pour cause : PDG et unique actionnaire de son enseigne, c'est lui et lui seul qui manie d'une main de maître la gestion de l'entreprise au quotidien, tout en gardant les commandes du style. Mué par une énergie mystérieuse, il crée, décide, vérifie, et avance sans relâche. Son credo ? « Toujours être plus exigeant avec soi-même qu'avec les autres ». Et c'est ce qui l'a porté depuis sa jeunesse.
Pourtant, c'est au sein d'une famille modeste qu'il est élevé, à Piacenza, dans le nord de l'Italie. Le jeune homme a déjà de grandes ambitions, et c'est à la médecine qu'il se destine dans un premier temps. Mais le service militaire interrompt ses études, et en 1957, quand il revient, il s'est ravisé : c'est la mode qu'il choisit. Il intègre donc le grand magasin la Rinascente, à Milan, tout d'abord comme assistant de photographie, puis il passe rapidement au département stylisme, où il recherche et présente des articles venant du Japon, des États-Unis ou d'Inde.
Son premier poste de styliste lui sera offert par Nino Cerruti, en 1961. Il y restera pendant 9 ans, et se formera à l'art de la coupe masculine. Il comprend alors que l'aspect « engoncé » du beau costume italien traditionnel est dû à des traditions de fabrication séculaires qui n'ont pas changé depuis des générations. C'est ainsi qu'il fut à l'origine d'un des plus grands séismes dans la mode du vingtième siècle : le « Power Dressing ».
En effet, lorsqu'en 1970, il se lance pour son propre compte, aux côtés de son ami et conseiller Sergio Galeotti, il n'oublie pas ce constat : les jeunes cadres dynamiques trentenaires sont lassés de s'habiller comme leurs pères. Après avoir collaboré avec plusieurs enseignes en tant que conseiller de mode indépendant, il crée sa griffe et sa première collection masculine en 1975. Celle-ci déchaîne la chronique : on y découvre une veste révolutionnaire, déstructurée et sans doublure, qui se moule sur le corps de façon sensuelle grâce à des tissus souples et confortables.
Face au succès retentissant de ladite veste, Armani décide de l'adapter à la femme en 1976, et là aussi, il tombe juste : il perpétue la libération féminine entreprise par Coco Chanel, et anticipe le style de la business woman des années 80, fait de tailleurs et de robes de jour modernes. Il ajuste la mode masculine pour les femmes, afin de créer une élégance confortable, prenant ainsi un contre-pied radical avec le New Look de Dior.
Peu à peu, son style devient reconnaissable entre tous : coupes épurées, lignes souples, et tons discrets forment un savoureux mélange entre décontraction et classicisme, dédié à un usage quotidien, et s'adressant à tous. Armani affirme : « je crois que le style est l'unique vrai luxe que l'on puisse se permettre, même quand on ne dispose pas de beaucoup d'argent ». C'est pourquoi il ne veut oublier personne, en offrant un vestiaire extrêmement large, allant de 100 à 65 000 euros.
Dès 1981, il crée une deuxième ligne : « Emporio Armani », plus jeune et plus accessible, et l'empire s'agrandit d'année en année : Emporio ouvre la voie à une série de ramifications de l'esprit Armani. Les enfants peuvent s'habiller chez Armani Junior, et les adolescents chez Armani Exchange A/X. Les années 80 voient naître Armani Jeans, et les années 90 Armani Classico. Chaque ligne est une nouvelle déclinaison de l'élégance démocratique si chère au créateur.
Armani, grand intuitif, sera aussi le premier parmi les designers à pressentir le potentiel commercial d'Hollywood. Il comprend qu'un acteur bankable portant un de ses ensembles vaut mieux que toutes les campagnes publicitaires. C'est pourquoi il fera du cinéma un de ses modes de communication privilégiés, sur les tapis rouges comme à l'écran. En 1981, on découvre donc dans « American Gigolo » un Richard Gere vidant sa garde-robe pour trouver l'ensemble parfait, signé Armani. De même, « Annie Hall », « les Incorruptibles », « Shaft », « Batman the dark Knight » seront tous griffés de la main du maître, qui devient en même temps l'habilleur officiel de nombreux acteurs.
Mais l'esprit conquérant de Giorgio Armani l'a poussé à aller beaucoup plus loin. En effet, le domaine vestimentaire, s'il est le point de départ de sa société, n'en représente aujourd'hui qu'une infime partie. Le designer s'intéresse à tous les domaines de création, et sera le premier à développer le concept de « lifestyle » si prisé de nos jours.
Il ouvre ses horizons dès 1980, en signant un contrat avec Helena Rubinstein pour la création de fragrances. C'est l'industrie du parfum qui a rendu notre couturier si puissant aujourd'hui, et le célèbre « Acqua di Gio » est depuis des années le masculin le plus vendu au monde. Fort de cette expérience, Armani lance des lignes d'accessoires, de sous-vêtements, et de maillots de bain en 1982. Et le reste suit à une cadence effrénée : Armani Occhiali (lunettes) en 1987, premier restaurant Emporio Armani Express en 1989, Emporio Armani Orologi (montres) en 1997, sans oublier les lignes de cosmétiques, de sacs, de bijoux, de produits pour la maison…
Les licences sont accordées à tour de bras, et Armani s'accorde même quelques fantaisies : en 2005, par exemple, il conçoit en binôme avec Mercedes Benz le modèle CLK Cabriolet by Giorgio Armani, en édition limitée ; de même, il s'associera à Samsung pour la création de deux modèles de portables.
Il ne lui restait que l'univers de la Haute Couture à conquérir, et c'est chose faite en 2005, avec la ligne Giorgio Armani Privé, qui eut un retentissement médiatique considérable lors de sa présentation à Paris. Notre couturier réussit un beau tour de passe-passe en restant fidèle à sa conception très pragmatique de la couture, dans l'univers pourtant si abstrait des podiums. Aujourd'hui, son oeuvre, récompensée de nombreuses fois par le CFDA et même par la Légion d'Honneur, est inscrite dans l'histoire du 20e siècle, récompense ultime pour celui qui déclara lui-même : « La véritable élégance n'est pas celle que l'on remarque, mais celle dont on se souvient ».
Par Lise Huret, le 13 février 2007
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