Cette richesse de personnalité, notre créateur la tient sans doute de ses origines. Il naquit à Gibraltar, terre officiellement anglaise mais intrinsèquement latine, dont les couleurs chatoyantes, le soleil brûlant, et les cérémonies religieuses seront plus tard une grande source d'inspiration pour lui. Métis de naissance, puisque sa mère est espagnole et son père anglais, John s'enrichit encore au contact d'autres cultures quand à 6 ans, il déménage pour le sud de Londres.
Le quartier est pauvre, et des immigrés de tous horizons s'y côtoient : africains, indiens et asiatiques vivent presque sous le même toit. Les revenus du foyer sont modestes, mais l'ambiance est chaleureuse et gaie. Anita, sa mère, lui apprend à danser le flamenco sur la table de la cuisine. C'est elle qui l'initie au raffinement du vêtement en le pomponnant à outrance, et il tient d'elle son goût pour le baroque et son extravagance, tandis qu'il héritera de son père la rigueur et le sens du devoir.
Cette attirance pour la mode doublée d'un talent précoce pour le dessin le mènent tout droit à la prestigieuse Saint Martins School. Acharné de travail, il dessine sans arrêt et passe son temps à étudier à la bibliothèque. Mais sa scolarité coûte cher, et il la finance en repassant les costumes du National Theatre. C'est là qu'il prend le goût des vêtements historiques, dont il s'inspirera pour créer sa collection de fin d'études, « les Incroyables ».
Il s'y approprie la Révolution Française, qui devient trendy, osée et savoureuse. Joan Burstein, responsable des achats chez Browns, est présente au défilé, et en dira plus tard : « C'est un moment que je n'oublierai jamais. John était le secret le mieux caché de Saint Martin's. » Résultat : elle lui achète toute la collection, et l'expose immédiatement en vitrine à Browns. Bien lui en prit, puisque la boutique est dévalisée en quelques jours ...
Une telle publicité projette Galliano sur le devant de la scène, ce qui le pousse à lancer sans tarder sa propre enseigne. Il obtient facilement des fonds financiers pour travailler sur sa nouvelle collection, qui sort en 1985 : avec « Afghanistan Repudiates Western Ideal », le monde de la mode découvre émerveillé l'univers Galliano dans toute sa splendeur.
Mais, après plusieurs défilés londoniens, force est de constater que, malgré sa popularité, les collections du créateur ne se vendent pas. Ses financiers prennent la tangente, et il tente alors sa chance dans notre capitale. Paris tombe amoureuse de ses coupes asymétriques et extravagantes, même si elles sont en totale opposition avec la mode minimaliste ayant le vent en poupe à l'époque.
Galliano attire l'attention de tous, y compris de clientes prestigieuses telles que Madonna ou Koffi Olomide, mais aussi de Bernard Arnault, PDG de LVMH, qui lui offre en 1995 la direction de la création du prêt-à-porter et de la Haute Couture Givenchy. Deux saisons après, le créateur a fait ses preuves, et c'est à Dior qu'il prend les rênes des collections féminines.
Cette période est à marquer d'une pierre blanche pour l'enseigne, car Galliano lui a véritablement redonné vie, tant sur le plan créatif que financier. Dior perd son image un peu vieillotte pour devenir « hard core glamour » (comme le dit lui-même le designer). Plus de tailleurs BCBG, la marque s'adressera désormais à une femme moderne et sexy. Le styliste prend rapidement en charge l'image globale de la griffe, et instaure une nouvelle communication radicale : la promotion est centrée sur quelques produits phares, et les campagnes publicitaires shootées par Nick Night versent dans la provocation.
Le défilé « Les clochards » en 2000 déclenche même un véritable branle-bas de combat, marquant l'avènement des défilés spectacles si chers à Galliano : il y rend un hommage sulfureux à « l'ingéniosité que déploient les déshérités pour se vêtir », en créant un style sans précédent, que l'on surnommera le « porno-chic ». Ce tapage qui accompagne désormais le nom de Dior attire une clientèle de renom : parmi d'autres, Nicole Kidman et Gwyneth Paltrow deviennent des inconditionnelles du nouveau style de la maison.
Le bourreau de travail qu'est Galliano n'en abandonne pas pour autant sa propre enseigne, où, soutenu par LVMH, il laisse libre cours à son imagination débridée. Il lance en 2003 une ligne Hommes, puis s'essaie à la lingerie en 2004. Il élargit de plus en plus le champ de ses compétences, pour être aujourd'hui à la tête d'un petit empire comprenant des lignes de montres, de parfums, d'accessoires, de joaillerie, de prêt-à-porter et chaussures enfant, et enfin du beachwear.
Chacune de ses collections raconte une histoire, s'inspirant d'événements historiques, de personnages, où de pays lointains. Parfois en mal d'inspiration, le designer part régulièrement en « voyages de recherches » à travers le monde, et en revient avec tout un bric-à-brac de souvenirs, photos, tissus, breloques. Il recrée ensuite les univers qu'il a découverts, en associant les matières et les couleurs à ses propres codes. Conteur, provocateur et génie avant-gardiste, loin des diktats de la mode, il ne poursuit qu'un but : que l'on dise un jour de lui : « il m'a rendue belle, il m'a rendue heureuse, il a fait de son mieux. »
J'adore.