Le mode de consommation actuel - vite acheté, vite jeté - ne pouvait laisser indifférents les jeunes designers de notre époque. La conscience écologique aux aguets, l'envie de révolutionner la mode version humaniste, le désir de mixer les talents et de rompre avec le fashionnement correct plus carcan que libérateur sont autant d'éléments qui ont amené Maroussia Rebecq, étudiante aux Beaux Arts, à revisiter le concept "ready made" de Duchamp, en l'adaptant au textile.
Elle réalisa donc une collection faite entièrement de vêtements récupérés dans les locaux du Secours Populaire et organisa un défilé au musée d'Art Contemporain de Bordeaux. Donnant vie à une autre facette du vintage, refusant de consommer toujours plus en faisant naître du vieux et de l'usé un nouveau vêtement, Maroussia a offert aux fashionistas un autre mode de consommation.
En 2001, elle développe son concept et crée le collectif Andrea Crews qui s'inscrit dans le paysage urbain, traitant de la mode à la manière d'un happening ou d'une performance artistique. Leurs créations oscillent entre Annette Messager et inspiration Margiela, ne respectent aucune règle, sont uniques, naissent au grès des matières premières qui s'offrent à eux et défient les tendances. Maroussia Rebecq refuse les voies compartimentées et rassemble sous son aile DJ, graphistes, vidéastes, plasticiens et stylistes, tous avides de cultures urbaines, décalées, déjantées, ludiques et provocatrices.
Ils constatent que la population consomme toujours plus de vêtements et génère donc de plus en plus de fripes, qui sont récupérées par les associations caritatives. Une partie de ces fripes est redistribuée à leurs bénéficiaires, tandis qu'une autre est recyclée afin d'obtenir du papier et que la troisième partie est jetée. C'est cette troisième partie qui intéresse Andrea Crews et qui va se voir déversée dans leur atelier. Ces tas de chiffons et de vêtements, voués à la disparition, auront l'avantage de les déculpabiliser face au gaspillage de matières, et leur permettront de tenter toutes les expérimentations possibles.
Le concept est lancé, les vêtements usagés trouvent un second souffle, en devenant la matière première qui permet aux stylistes de concevoir des pièces uniques, voire expérimentales. Le processus de créations est un manifeste en lui-même : pas besoin de nouvelle production textile pour habiller la nouvelle génération, rien que du recyclé, qui néanmoins fleur bon la pièce créateur.
Point de misérabilisme à l'horizon, c'est bien de mode dont traite Andrea Crews, mais une mode réfléchie, qui ne pratique pas la politique de l'autruche sous prétexte de graviter dans les hautes sphères du luxe. Une mode foncièrement créative, rompant radicalement avec l'uniformisation. Chaque jour, de nouvelles pièces sortent des ateliers, qui ne suivent aucune ligne de conduite ni aucun plan de collection. Elles sont simplement dictées par la matière et l'inspiration des intervenants, ce qui donne naissance à un vestiaire bigarré, audacieux et insolite.
Foncièrement militante, Maroussia Rebecq a fait d'Andrea Crews un moyen de lier les artistes, de faire communiquer les différentes forces qui animent la culture urbaine. Elle développe également de nombreux projets avec des associations humanitaires, ainsi qu'avec des écoles. En plus d'être plus qu'éthiquement correct, Andrea Crews a été adopté par l'univers branché : ses créations sont vendues chez Colette, ainsi qu'aux quatre coins du globe, au sein de ce qui se fait de plus hype…
Loin de renier son essence, cette distribution pointue est corollée de nombreuses opérations et manifestations à but caritatif, mixant performances artistiques et mode, comme lors de cette vente à la criée au palais de Tokyo, où les stylistes travaillaient sous l'oeil du public et où leurs créations étaient vendues 1 euro, le tout au bénéfice du Secours Populaire… Mais ils oeuvrent également dans l'alternatif : c'est à Andrea Crews que l'on doit les fameux costumes de la tournée de Philippe Katerine…
Les codes régissant les collections prêts-à-porter n'ont plus court et la liberté créatrice prend le dessus. Les vêtements Andréa Crews, à la fois graphiques, urbains et contemporains, s'inscrivent dans une volonté sociale, éthique et économique de vivre autrement, sans pour autant renier esthétique et innovation.
Bien plus branchée que les tee-shirts en bambou et tout aussi équitable, Andrea Crews offre une vision rafraîchissante et novatrice du monde de la mode, que l'on découvre propice aux mutations les plus éclairées, version flocage et déstructurations.
Par Lise Huret, le 15 novembre 2007
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