Même s'ils commencent à être victimes de leur succès, Mert Alas et Marcus Piggott ne semblent pas en souffrir outre mesure, car si les modeuses frôlent l'overdose en apprenant que ce sont encore eux qui shooteront la campagne Miu Miu, les griffes quant à elles en redemandent. Il faut dire que le style ultra léché des deux hommes correspond à merveille à l'univers du luxe et de la publicité...
On situe la formation de leur équipe vers le milieu des années 90. Du même âge, les deux jeunes gens vont se rencontrer autour de leur passion commune qu'est la photographie. Ils sont alors chacun en train de suivre leur voie, l'un en tant qu'assistant photo, tandis que l'autre possède une petite boutique de design. Cependant, leur alchimie est pour eux si flagrante qu'après avoir travaillé peu de temps ensemble, ils décident de s'unir professionnellement : Mert & Marcus est né.
Sûrs d'eux, ils s'en vont démarcher les magazines londoniens. Leur portfolio fait mouche, et "Dazed and Confused" leur confie immédiatement sa couverture. Il faut dire que leur style tranche clairement avec celui des années 90 : alors que la photographie est alors d'une esthétique pseudo arty, Mert & Marcus réalisent des natures mortes ultra sophistiquées, où leur amour de l'artifice assumé fait des étincelles.
Le point central de leur réflexion se situe dans l'apparence, et non pas dans le fait de saisir telle ou telle expression ou sentiment. Ils construisent leurs photos étape par étape, quasi chirurgicalement, imposant à leurs modèles d'interminables heures passées entre les mains des maquilleurs et coiffeurs, et faisant de l'outil de retouches leur baguette magique.
La journaliste anglaise Katie Grand les considère alors plus comme des peintres que des photographes. En effet, une fois la photo shootée, cette dernière est loin d'être achevée. Pour le duo, c'est à cet instant que leur talent s'exprime, grâce à une équipe ultra pointue en imagerie informatique qui leur permet de devenir les maestros d'un remodelage quasi-total de leur épreuve. Ainsi, ils n'hésitent pas à rehausser une teinte, accentuer tel reflet ou lisser une brillance, au point que les femmes sous leur palette graphique deviennent absolument irréelles, telles des icônes de beauté figées, au glamour de cire.
Le résultat est esthétiquement parfait, mais comme le dit le directeur artistique de W magazine (Dennis Freedman), on a souvent du mal à savoir si le modèle est fait "de chair et de sang, ou de silicone". Tous néanmoins hurlent au génie. Mert & Marcus deviennent une valeur sûre et incontournable, par qui les actrices et chanteuses doivent se faire immortaliser, dont les magazines doivent s'offrir les services et dont les griffes haut de gamme ne peuvent se passer.
Cependant, si leur travail - reconnaissable entre mille - est adulé par tous ces acteurs du monde de la mode, il ne faut pas oublier que Mert Alas et Marcus Piggott ne sont pas les petits génies novateurs que l'on se plaît à nous faire croire. En effet, à bien y regarder, la filiation entre eux et le photographe Guy Bourdin (qui de 1970 à sa mort fut l'un des plus prisés du métier) est flagrante. À ceci près que Guy Bourdin sut se renouveler à temps, ce qui ne semble pas être le cas du duo...
Oui mais voilà, lorsque Louis Vuitton, Missoni, Giorgio Armani, Roberto Cavalli, Fendi, Miu Miu, Gucci, Yves St Laurent, Givenchy et Lancôme s'arrachent vos services, il n'est pas aisé de prendre du recul et de comprendre qu'une telle surexposition n'est pas forcément la clef d'un succès à long terme.
Il est néanmoins surprenant que l'univers du luxe, souvent en quête d'exclusivité, fasse preuve d'une telle constance vis-à-vis de Mert & Marcus. En effet, au risque de ternir leur image en participant à un clonage publicitaire (découlant de l'utilisation monomaniaque d'un même photographe), les griffes haut de gamme ne cessent de plébisciter le duo. Leurs clichés au charme surréaliste, à la patine luxe et au parti pris vaguement macho continuant de booster "l'audimat" ainsi que les ventes, les marques auraient tort de bouder leur plaisir.
Reste à savoir où se trouve le point de rupture, et combien de temps durera encore la protection quasi divine dont bénéficient Mert Alas et Marcus Piggott...