En guise de lancement de la fashion week parisienne, on fêtait en septembre dernier les 20 ans de bons et loyaux services de Suzy Menkes en tant que rédactrice de mode au sein de l'International Herald Tribune. Pour cette occasion, tout le gratin de la fashion fut réuni : de la mannequin intello au couturier chouchou, en passant par les maîtres de la Haute Couture, personne ne se serait permis de rater l'événement.
Il faut dire que Suzy Menkes est à traiter avec déférence et précaution, tant une ligne de sa part peut vous projeter dans la lumière ou vous discréditer pour toute une saison.
D'ailleurs, si les festivités se déroulant au musée Galliera furent plus que réussies, ce n'est pas pour autant que Suzy Menkes flattera dans son prochain article tel ou tel créateur lui ayant fait la conversation, car chacun le sait, cette influente rédactrice de mode est incorruptible. C'est au passage l'une des seules à renvoyer systématiquement les cadeaux qu'elle reçoit des bureaux de presse...
Suzy Menkes est née en 1943 en Angleterre. Très jeune, elle manifeste une attirance pour la France, sa culture et son raffinement. Dès la fin de sa scolarité, elle s'envole ainsi vers Paris afin de suivre durant une année les cours de la chambre syndicale de la couture. Elle y apprend les rudiments de la coupe et y développe son goût en matière de mode. Elle retourne ensuite en Grande-Bretagne où elle suit des études de littérature et d'histoire anglaise à Cambridge. C'est durant cette période - où elle sera la première femme à diriger le journal de l'université - qu'elle choisit de devenir journaliste.
Son diplôme en poche et plus que jamais passionnée par la mode (qui est alors en pleine mutation, année 68 oblige), Suzy décroche un poste dans la rubrique mode du Times. Elle y fit d'ailleurs la connaissance de son futur mari, David Spanier, avec qui elle aura trois enfants. Sa façon d'analyser les événements, son ouverture d'esprit, son intarissable curiosité et son indéniable talent d'écriture lui font rapidement obtenir la responsabilité de la rubrique.
A une époque où l'univers de la mode bouillonne, où les codes de l'esthétique contemporaine sont en train de s'établir et où les légendes d'aujourd'hui révolutionnent le prêt-à-porter, Suzy Menkes est aux premières loges...
Sans arrêt elle analyse, confronte, s'enthousiasme et critique avec une intelligence qui la fait devenir une plume que l'on lit avec attention. En 1988, son statut de pythie ayant droit de vie ou de mort sur la destinée des créateurs ne fait que se confirmer lorsqu'elle intègre la section mode du Herald Tribune, où elle décrypte - en tant que chroniqueuse - les défilés des fashion weeks, que ce soit celles de New York, Pékin ou même Berlin.
La force et la pertinence de Suzy Menkes viennent en partie du fait qu'elle désire couvrir la mode au sens large du terme. Elle ne se cantonne pas aux maisons reconnues et arpente le globe afin d'avoir une vision globale de ce qui constitue la Mode. Elle est par ailleurs toujours curieuse de découvrir le travail des jeunes créateurs, avide de discuter avec les divers acteurs de la mode et disponible dès qu'elle décèle en l'un d'entre eux les prémices d'un talent.
Travaillant pour un média puissant, bénéficiant d'un réseau d'influence extrêmement étendu et possédant une intuition et un flair imparable, Suzy Menkes est de celles dont l'avis bouleverse les carrières et booste les ventes, au même titre que Carine Roitfeld. Cependant, si les deux Parisiennes exercent un pouvoir incontestable sur leur milieu et évoluent dans le même domaine, elles ne se ressemblent en rien.
L'une, plus jeune, diablement photogénique et entourée d'une équipe de filles longilignes et stylées joue la carte de la branchitude : on l'adule tant pour son allure que pour son oeil perspicace à qui rien n'échappe. L'autre, que Kate Moss décrit comme une "crazy auntie", affiche quant à elle un look british chic (qui n'est pas sans rappeler parfois celui d'Élisabeth II) et une coiffure pompadour qui achève de la rendre unique. Et si Carine est avenante, Suzy est nettement plus impressionnante. Il faut dire que ses papiers font trembler les plus aguerris des stylistes…
Ainsi, alors que l'on croyait Marc Jacobs intouchable, la téméraire Suzy Menkes n'a pas hésité à le clouer au pilori pour avoir débuté son show printemps/été 2008 avec plus de deux heures de retard. À l'inverse, alors même que Nicolas Ghesquière n'était pas encore le chouchou de la presse, elle le désignait déjà comme "Le créateur le plus fascinant et le plus original de sa génération". Son avis éminemment respecté fait ainsi la pluie et le beau temps au pays du turn-over des postes clefs : des critiques négatives à répétition sur tel ou tel directeur artistique peuvent même amener ce dernier à être congédié...
Cette éminence grise de la mode, qui a pour règle d'être toujours objective et d'écrire rigoureusement ce qu'elle pense, est aussi de tous les secrets du milieu. C'est ainsi elle qui, au matin du dernier show Margiela, évoquait dans son papier du jour la possibilité du départ de ce dernier…
En dépit de la cadence effrénée que lui impose son métier, Suzy Menkes parvient pourtant à développer d'autres passions. Férue d'histoire, on lui doit plusieurs ouvrages sur la famille royale britannique, qu'elle prend le temps de rédiger dans sa maison secondaire d'Ardèche (moins sexy qu'Ibiza, mais nettement plus efficace pour s'éloigner de l'agitation parisienne).
Que l'on conteste ses choix ou que l'on n'adhère pas à ses coups de coeur, Suzy Menkes est néanmoins l'une des rares personnes - dans un milieu où hypocrisie mielleuse et courbettes intéressées sont monnaie courante - faisant preuve d'une nette insoumission aux diktats du commercialement correct et d'une d'honnêteté intellectuelle forçant le respect et l'admiration. Son parcours et son intégrité lui ont d'ailleurs valu la Légion d'honneur, et lui ont permis d'intégrer l'Ordre de l'Empire Britannique…
Par Lise Huret, le 17 octobre 2008
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