Christophe Decarnin est à Balmain ce que Stella fut à Chloé et ce que Ghesquière est à Balenciaga : un esprit créatif fort, capable de redorer le blason d'une maison en perte de vitesse. Ils sont en effet parvenus à mixer références et innovations, composant ainsi des collections prisées des rédactrices de mode, et enclines à remplir les caisses des actionnaires…
Cependant, si les autres jeunes créateurs ont fait de leur personne un argument de vente, Christophe Decarnin reste obstinément dans l'ombre, en dépit du succès de ses collections. On peut d'ailleurs se demander pourquoi son nom n'a éclos dans les journaux qu'en 2006… Avant son apparition chez Balmain, où pouvait bien se cacher celui qui a su réintroduire si rapidement la griffe dans les pages de Vogue ?
Christophe Decarnin, fils unique d'un couple de fonctionnaires, a passé son enfance dans le Nord de la France. Petit garçon, il passe son temps à dessiner, avant d'être intrigué par les vêtements anciens : il commence ainsi très jeune à découper ses vieux habits pour en concevoir de nouveaux. Plus tard, il achète les tissus de son choix et coud pour lui et ses amis.
Le déclic mode se passera lorsque Christophe tombe sur un livre de photographies de Richard Avedon. Celui-ci sera sa bible, sa source d'inspiration, et le mènera petit à petit vers des études de stylisme à Paris. Christophe Decarnin déclarera plus tard que bien plus que les designers eux-mêmes, ce sont les images de mode qui le fascinent et boostent sa créativité.
Il descend alors à Paris, s'inscrit à l'ESMOD et s'installe dans un petit studio dans le quartier des Halles. À part ses camarades de classe, il ne voit pas grand monde : il faut dire que le jeune homme est timide - ou tout du moins pas très loquace - ce qui l'empêche de tisser des liens qui auraient pu dynamiser sa carrière.
À la sortie de ses études, il travaille en freelance, avant d'être embauché (en 1993) chez Paco Rabanne. Sous la houlette du couturier, Decarnin ronge son frein : alors qu'il est persuadé d'avoir la capacité de créer des robes à la fois pointues et commerciales, Paco Rabanne (qui dans les années 90 est plus enclin à prédire la fin du monde qu'à renouveler la mode) ne lui offre pas la possibilité de s'exprimer.
En 2000, Christophe Decarnin reprend sa liberté et choisit de travailler comme consultant pour Apostrophe. Le P.D.G. de la société, Patrick Hazan, apprécie son travail, si bien que lorsque Alain Hivelin (directeur de Balmain) cherche au pied levé un styliste pour concevoir la collection de février 2007, Hazan lui souffle le nom de Decarnin.
À 42 ans, Christophe Decarnin est alors projeté dans l'univers du luxe avec pour mission de créer dans un temps record (45 jours) une collection capable de rebooster Balmain, qui depuis plusieurs années fait figure de belle endormie. Il se plonge ainsi dans les archives de la maison, s'imprègne de la conception que Pierre Balmain a du vêtement et occulte les années Oscar de la Renta, Lagerfeld et autres pour revenir aux composantes premières de Balmain : ne pas se soucier d'être à l'avant-garde ou dans la tendance, et axer sa réflexion sur comment booster l'allure des femmes.
En février, il propose une collection "soir", composée de micros robes ouvragées. Son discours est ouvertement sexy, mais aussi fondamentalement moderne : il traite les toilettes de soirée comme un vêtement de jour, leur insufflant la casualness nécessaire pour dépoussiérer le genre et séduire massivement les jeunes femmes.
Son travail rencontre un succès foudroyant : les it girls sont emballées par ses robes trop courtes et l'esprit rock chic qui s'en dégage, tandis que le clan Vogue (Roitfeld/Alt/Sauvé) tombe amoureux de Balmain. Introduit par Emmanuelle Alt - qui est depuis longtemps son ami - Christophe Decarnin trouve chez Vogue ce qui lui manque de connections et de glamour attitude. Il faut dire que s'il dessine pour des jet-setteuses clubeuses, il ne met jamais les pieds dans leurs soirées…
Dès lors, Carine et Julia Roitfeld portent du Balmain à Cannes, tandis que les pages de Vogue font la part belle aux créations du styliste et que Alt travaille en tant que consultante auprès de Christophe. Cela permet de façonner l'image du couturier et de lui souffler l'équation magique (sexyness/cooliness/rock glitter) donnant naissance aux néo Jane Birkin défilant sur son podium.
En quelques saisons, Balmain a ainsi réussi à remplacer Balenciaga au hit-parade des maisons branchées. Du coup, les jolies lianes du show-business - que ce soient Gwyneth Paltrow ou Charlotte Casiraghi - ne jurent plus que par ses mini longueurs et ses vestes sophistiquées...
Petit à petit, Decarnin développe un prêt-à-porter destiné à briller de jour. Fier du terme "semi-couture" apposé à son style, il conjugue avec brio excellence de la coupe, matières d'exception et énergie glam'rock. Alors que Ghesquière développe la notion de technocouture (au risque de rencontrer l'incompréhension de la clientèle), Christophe Decarnin propose avant tout une mode évidente, capable d'être adoptée immédiatement. Ceci explique certainement l'engouement général suscité par son travail…
Ainsi, que ce soient les modeuses flashant sur la dégaine raffinée de ses modèles glitter, les Zara et consorts qui s'inspirent copieusement de ses collections ou encore les hype girls qui s'affichent régulièrement en Balmain, tous les acteurs de la mode pensent désormais en mode Balmain. En dépit de ne créer que pour un certain type de filles et d'évoluer dans une gamme de prix défiant l'imagination, Christophe Decarnin a su envoûter un public très large avec sa vision moderniste de l'élégance.
Épris de liberté (tout en ayant conscience que l'on ne peut rien faire de bon sans connaître et s'imprégner de ses racines), il est parvenu à redonner à Balmain l'aura des jours de gloire. Là où les grands noms de la mode avaient échoué, celui qui préfère les backstages aux lumières a surpassé les pointures du milieu…
Par Lise Huret, le 24 octobre 2008
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(Et félicitation à Coco pour cet article merveilleusement bien rédigé)