Portraits shoesesques de saison #2
Insolites, conceptuels ou infiniment tendances, certains des souliers du printemps 2017 m'ont donné envie d'essayer d'imaginer les contours de celles à qui leurs créateurs les destinent…
La perfectionniste tendance totalitaire
Face au cuir blanc aseptisé des néo-mules Paul Andrew, cette anesthésiste à tendance maniaque qui ne respire correctement que lorsqu'elle est entourée de surfaces lisses, brillantes et proprissimes n'a pu résister bien longtemps : l'idée de réussir à conserver vierges de toute souillure ces sabots hospitaliers revisités en mode urbain/sophistiqué était trop obsédante. Et tant pis si ce challenge la pousse à ajouter des nouvelles contraintes à son quotidien déjà élaboré pour minimiser les rencontres microbiennes... Afin de conserver la virginité monochrome de ses nouveaux souliers, elle n'a ainsi pas hésité à investir dans un néo-scooter électrique (qui lui permet de les protéger de tout contact inopiné avec des excréments canins), à bannir les plats en sauce (susceptibles de laisser choir une goutte fatale sur ses trésors couleur neige), à enfiler sur ses mules ses chaussons jetables de bloc lorsqu'elle rentre chez le poissonnier (ou le fleuriste) et à établir un périmètre de sécurité autour d'elle (ses enfants ne sont autorisés à l'approcher qu'une fois lavés et en pyjama).
La fashionista historienne
Amoureuse d'histoire et férue de mode, cette fringante bibliothécaire - mise à l'abri du besoin par un riche mari souvent absent - regrette amèrement de ne pas avoir vécu à la cour de Marie Antoinette, où elle aurait pu admirer de près les créations de Rose Bertin. Afin de pallier cette injustice spatio-temporelle, elle écoute en boucle les récits d'Henri Guillemin tout en confectionnant des sablés "fashion" avec ses nouveaux emporte-pièces dénichés chez Bogato et en rêvant à des accessoires de mode susceptibles de lui rappeler ses héroïnes historiques. Dans ce contexte, celle qui résista à l'appel du corset pradien (afin de ne pas renier ses convictions féministes) et qui échoua à convaincre ses e-soupirants de lui offrir une pièce de la collection "Versailles" Chanel Resort 2013 est bien décidée à ne pas laisser passer ces escarpins Louboutin, qui lui évoquent furieusement les portraits de Marie de Medicis.
L'ex-addict aux Stan Smith
Bien décidée à se sevrer de son addiction aux Stan Smith, cette jeune attachée parlementaire accro aux romans d'Elena Ferrante et inconditionnelle du filtre Snapchat la transformant en fée couronnée de fleurettes compte célébrer l'arrivée du printemps en s'offrant une paire de souliers aux antipodes de ses bien aimées sneakers Adidas. Pour ce faire, elle décide de pénétrer au sein de ce que les magazines féminins considèrent comme le Saint des saints de la coolitude parisienne, à savoir… une boutique Isabel Marant. Elle en ressortira munie d'une paire de sandales hautes perchées aux rubans de cuir volanté synthétisant à merveille ce qu'elle est aujourd'hui : une femme indépendante et séduisante, qui ne peut s'empêcher de fantasmer sur la garde-robe de Candy. Et tant pis si sa petite nièce crut en la voyant descendre de son scooter qu'elle avait enrubanné ses pieds de feuilles d'aluminium...
La modeuse incomprise
D'aussi loin qu'elle se souvienne, son entourage a toujours jugé ses goûts esthétiques bizarres, voire franchement décalés (pour ne pas dire rédhibitoires) : que ce soit au collège où ses camarades se révélèrent hermétiques à la flamboyance du duo veste de survêtement orange/leggings fleuris turquoise, au mariage de sa cousine où la gent masculine se tint à distance respectueuse de son imposante robe de bal de promo ramenée d'une friperie californienne ou encore au bureau où son amour du style nineties reste incompris de la majorité de ses collègues, ses performances stylistiques n'ont jamais vraiment été appréciées à leur juste valeur. Quelle ne fut donc pas sa joie lorsqu'elle découvrit Demna Gvasalia et son vocabulaire fashion insolite : sous son impulsion, le laid, l'improbable et le ringard devinrent en à peine quelques mois les valeurs cardinales de la mode. De quoi hisser la jeune femme au rang de potentielle icône street style... Pas étonnant dans ce contexte que celle-ci n'ait pas hésité une seconde avant de s'offrir ces mules Balenciaga, dont le degré de laideur snob frôle la perfection.
La boyish contrariée
La vie de cette attachée de presse est un paradoxe constant, où envies profondes et obligations sociales se télescopent constamment : elle se ruine ainsi régulièrement en massages amincissants chez Martine de Richeville tout en régulant son stress à coup de marrons glacés, échangerait bien son prochain cocktail professionnel au Shangri-La contre une soirée bière/rugby devant sa télé, possède toute une collection d'escarpins vertigineux dernier cri mais ne se sent jamais mieux que lorsqu'elle s'occupe de son pur sang en bottes en caoutchouc et voue un culte immodéré à l'art contemporain alors qu'elle a été élevée par un père pour qui il n'y a point de salut en dehors de Rembrandt. Pas étonnant dès lors que sa psychanalyste/meilleure amie lui ait conseillé de s'offrir cette paire de mocassins hybrides imaginée par Loewe qui, en mêlant rose satin girly, cuir marron masculin et talons conceptuels, lui permettra d'assumer au grand jour sa personnalité "puzzle"... PS : Les personnages et les situations de ce texte étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Par Lise Huret, le 22 mars 2017
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Merci pour ce délicieux article plein de malice ! Ta plume est encore une fois excellente, bravo.
Bonne journée à vous 3