Colette, le bilan
Aussi mythique que clivant, le concept store du 213 rue Saint Honoré fermera ses portes en décembre prochain. L'occasion pour moi de faire le point sur les aspects positifs et négatifs de ce temple de la hype...
Les "plus"
En décidant de quitter la scène en pleine gloire sans chercher à revendre leur poule aux oeufs bleus, Colette Roussaux et Sarah Andelman confirment que l'authenticité n'a pour elles pas de prix. À l'heure où il est de bon ton de se gargariser de fausse humilité, où certaines griffes n'hésitent pas à sacrifier leur ADN sur l'autel du profit et où chacun s'accroche à sa petite gloire, l'attitude anachronique et foncièrement inspirante de ce couple mère/fille force l'admiration.
Ouverte en 1997, Colette est rapidement devenue une marque prescriptrice, un lieu incontournable et une entreprise rentable. Autant dire que n'importe quelle businesswoman aurait vu là l'occasion de dupliquer le concept à l'étranger, afin de multiplier les bénéfices. Oui mais voilà, conscientes que "multiplier" signifierait indubitablement se perdre un peu, les fondatrices de Colette ont préféré consacrer toute leur énergie à leur bulle parisienne. Un choix du coeur qui les honore.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, faire partie du sérail et posséder des contacts bien placés ne sont pas des prérequis nécessaires pour avoir une chance de se voir diffusé chez Colette. Nous sommes bien placés pour le savoir : il y a quelques années, après avoir déposé à la caisse du concept store une grande enveloppe contenant un échantillon de nos écussons Douze Août, nous avions eu la surprise de recevoir une dizaine de jours plus tard un email de Sarah nous disant qu'elle souhaitait nous en commander au plus vite…
Aussi influente soit-elle, Sarah Andelman n'en est pas moins toujours apparue souriante lors des fashion weeks (alors que bon nombre de ses voisines de front row ont depuis longtemps adopté une mine blasée/hautaine), mais aussi adorablement discrète (elle n'accorde que peu d'interviews) et espiègle (on pense tout particulièrement à son mythique lancer de bouquet de mariée).
Flâner chez Colette permet de se faire en quelques minutes une bonne idée du paysage fashion du moment.
Souvent proposés en petite quantité dans des boîtes en fer esthétiquement parfaites, les mini oursons en guimauve vendus chez Colette ont des allures de mignardises haut de gamme, que l'on dévore bien plus cérémonieusement qu'un paquet d'oursons Cémoi.
Conçues à l'origine comme un gag, leurs pochettes surprises m'ont sauvé plusieurs fois la mise...
Les "moins"
Que Colette et Sarah l'aient voulu ou non, leur concept store est rapidement devenu un lieu infiniment hype où l'on ressent de manière assez subtile le fait d'en être ou non : entre vendeurs souvent hautains et clients à l'aisance branchée cultivant attitude friendly avec le staff du bar à eau et dédain envers les touristes, je ne compte plus le nombre d'amies évoluant hors des milieux de la mode/beauté/musique qui se sont senties mal à l'aise au sein de cette boutique.
Derrière son apparence de femme simple et visionnaire, Colette Rousseau peut s'avérer assez rancunière : "Quand Milan Vukmirovic (co-fondateur de Colette, ndlr) est parti en 2002 chez Saint Laurent du temps de Tom Ford, puis est devenu autorité du bon goût, elles ont découpé sa tête sur la photo avec leurs ciseaux d'acier. Il avait compris que le succès de Colette reviendrait à Colette. Au magasin, on nous dissuade de l'appeler. On est avec ou contre elle. "On s'est retrouvées toutes les deux, avoue Colette. C'est mieux."
La constitution au fil des années de la "famille Colette" - à savoir un joyeux mélange de rédactrices de mode, de journalistes beauté, d'attachés de presse, de stylistes de griffes avant-gardistes, de "it" girls, de mannequins et d'artistes branchés - que Sarah Andelman réunissait régulièrement autour des événements Colette a contribué à envelopper l'univers du concept store de cette aura exclusive et excluante si caractéristique du petit monde de la mode.
Le concept du "bar à eau" m'a toujours laissée songeuse, tant il atteint des sommets en matière de snobisme et de génie marketing.
Un article paru en 2015 dans M Le Monde révèle que pour garder leur monopole, les deux femmes ne font pas de cadeaux à leurs concurrents : "Il y a dix ans, j'avais la rage contre elles, raconte un commerçant, Ramdane Touhami. J'avais ouvert un "concept store", L'Épicerie. Elles ont fait pression sur les marques pour qu'elles ne viennent pas chez moi. Dix ans après, je sais qu'elles avaient raison. C'était réglo. C'était le business. J'aurais fait la même chose. Tu n'as qu'à te réveiller plus tôt pour les battre. Mais bon, c'est impossible."
Par Lise Huret, le 13 juillet 2017
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