Le paradoxe de la banane

Depuis quelques années, le sac banane s'emploie à s'extraire du purgatoire fashion au sein duquel l'avait plongé une décennie d'usages pragmatiques dépourvus de toute visée esthétique. C'est ainsi qu'en 2015, on put voit poindre ici et là des articles évoquant le "come-back" du sac banane, alors que quelques avant-gardistes bravaient le regard désapprobateur des aficionados du Constance (Hermès) en arborant le fameux "fanny pack" ceinturé sur leur blouse.

Une audace précurseuse qui se vit récompensée par l'arrivée progressive du sac banane au sein des collections prêt-à-porter. Alexander Wang en pare ainsi les filles Balenciaga sur le défilé printemps/été 2016 de la griffe, avant que Louis Vuitton et Vanessa Seward ne décident de lui emboîter le pas. Début 2017, le sac banane truste le stylisme du défilé Gucci automne/hiver (voir ici, ici et là). Six mois plus tard, il fait figure d'incontournable sur les podiums new-yorkais de la saison printemps/été 2018, convertissant massivement modeuses, adolescents et "it" girls et à sa dégaine irrésistiblement... nineties. Une fois de plus, le petit monde de la mode aura excellé dans l'art de transformer une ancienne hérésie stylistique en véritable obsession fashion.

Une réussite inespérée qui semble avoir plusieurs causes. La première, la plus évidente, est que la mode est faite de cycles. À chaque changement de génération (tous les 25 ans), les jeunes s'emparent de choses qu'ils n'ont pas connu et qu'ils considèrent donc exotiques et à contre-courant. Pièce phare de la période pop/street des années 80/90, le sac banane devient ainsi soudain divinement attractif aux yeux de la génération Z.

La seconde est l'éclosion en 2014 du phénomène "normcore", offrant une dimension hype à des accessoires/vêtements à visée a priori uniquement utilitaire. Ajoutez à cela la déringardisation - voire même l'adoubement fashion - des attributs du "parfait touriste" (bob, Birkenstock, tee-shirt carte postale) et une fascination grandissante du "fash pack" pour le "ugly style" et vous obtiendrez quelques éléments susceptibles d'expliquer pourquoi Jimmy Kimmel arborait un sac banane lors des Emmy Awards... Dans les faits, le sac banane version 2017 voit s'opposer deux écoles, l'une proposant d'arborer le sac banane - dont la nature esthétique a ici peu d'importance - au travers de la poitrine (promu par Aymeline Valade, ce "bag code" fait actuellement des adeptes parmi les victimes de la mode désirant marquer leur indépendance d'esprit) et l'autre prônant le port ceinturé d'un petit sac chic - le plus souvent un GG Marmont Gucci - n'ayant pas grand-chose à voir avec le volume banane de ses "aïeux hip hop" (celui-ci se mue alors en faire-valoir trendy pour influenceuse sponsorisée - voir ici et là).

Pour celles qui hésitent encore, voici une liste d'avantages/inconvénients qui vous permettra de déterminer s'il est judicieux ou non d'emboîter le pas de Kendall Jenner (voir ici et là)…

Les avantages du sac banane

Il permet de grignoter un paquet de M&M's en toute discrétion.
Il évite de se faire subtiliser son iPhone dernier cri dans une rame de métro à l'heure de pointe.
Il peut faire office de ceinture.
Il permet de transporter en toute sécurité la famille Playmobil du petit dernier (finis les petits personnages perdus au fin fond de notre sac oversize).
Il focalise l'attention et permet de faire oublier le reste de la tenue.

Ses inconvénients

Il peut créer une illusion d'embonpoint.
Il peut casser la ligne de la silhouette.
Son port au travers du haut du buste peut vite manquer d'évidence, au point parfois de tourner au ridicule.
Sa simple vue peut rappeler aux plus de 30 ans les heures les plus sombres de l'histoire de la mode…
Son succès fait naître des idées relativement saugrenues chez certains designers…

Ces listes sont bien évidemment à compléter…