Le féminisme et la mode
Plus que jamais dans l'air du temps, la notion de féminisme fait ces derniers temps le miel de la sphère mode. Pour traiter de cette thématique ô combien délicate, j'ai eu envie de donner la parole à mon ami Emmanuel Isaia ; un jeune homme qui, après avoir évolué dans la mode parisienne pendant près de 11 ans, partage aujourd'hui son temps entre son média en ligne LuxeMode.fr et la très exclusive agence Grand Luxury Hotels. Il faut dire que lorsque je ressens le besoin de décortiquer les rouages de la sphère mode, c'est souvent vers lui que je me tourne…
« Rédige-le ce papier toi ! »Voilà comment au détour d'une conversation, Lise m'a confié une mission à ne pas prendre à la légère… Ceux et celles d'entre vous qui me connaissent au travers de mes avis bien tranchés en commentaires des articles de Lise le savent, j'ai parfois tendance à être radical dans mon propos, mais cela ne m'empêche nullement de réfléchir. Et justement, la conversation que j'avais ce jour-là avec Lise tournait à une analyse du Féminisme dans la Mode, avec pour point de départ les fameux T-Shirts de Maria Grazia Chiuri pour Dior, aux messages qui me paraissent quelque peu simplistes, d'un « We should all be feminist » à un « Why have there been no great women artists ? ».
Certes, la première version de ce T-shirt enflamma la toile et fut immédiatement adoptée par les influenceuses de tous bords, nonobstant son tarif rédhibitoire, mais le dernier en date me laissa dubitatif, car il remettait en question quelque chose qui n'avait pas lieu d'être. Il suffit en effet d'ouvrir un dictionnaire des noms propres pour les trouver ces grandes artistes, et pas qu'au cinéma ou dans la musique, mais bien dans l'art en général sous toutes ces formes…
La mode, qui s'inspire du monde qui l'entoure tout en l'inspirant à son tour par ses interprétations, semble aujourd'hui avoir laissé la place à une recherche permanente de profit. Et cela passe aussi par l'exploitation du féminisme.
Mais quel féminisme au juste ? Je pourrais vous parler de sa forme classique telle que nous le propose le Larousse : « Mouvement militant pour l'amélioration et l'extension du rôle et des droits des femmes dans la société ».
Soit.
Maintenant, il convient de le replacer dans le contexte actuel.
Et l'actualité est plutôt riche de ce côté-là. Au militantisme intellectuel de la fin du XVIIIe à la fin du XXe siècle mené par des femmes comme Simone Veil, Gloria Steinem, Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir et tant d'autres qui ont laissé leurs écrits et le fruit de leurs actions à la postérité, ont succédé des égéries autoproclamées comme Beyoncé, Lady Gaga ou Kim Kardashian, ainsi que toute une jeune génération brandissant haut et fort le #Feminist, sans toutefois en mesurer la véritable importance…
La parité, l'égalité des salaires, et aujourd'hui la dénonciation de tout ce qui peut s'apparenter de près ou de loin à une agression sexuelle trouvent bien évidemment leur écho dans la mode. À titre d'exemple, la femme Balenciaga sort en robe imprimée de billets de 500 euros pour le printemps été 2018, elle est forte, elle assume. Mais elle assume quoi au juste ? Le fait de réussir ? Le fait de ne pas se laisser marcher dessus par un homme ? Pourquoi pas. En tant qu'homme, je ne peux qu'assister au spectacle terrible proposé par les célébrités qui, de selfies dénudés en selfies déhanchés, proclament leur foi en un féministe agressif sans aucune prise de recul ni même une réflexion aboutie sur le sujet. Pourtant, dans mon entourage proche, je n'ai encore vu ni ma mère, ni ma soeur, ni mes amies poster des photos d'elles dans la veine des selfies de Kim K. pour proclamer leur féminisme. Je vois des femmes aimer la mode, la consommer, l'adapter à leur vie quotidienne, chacune avec ses moyens, et justement être femmes dans leur carrière, dans leur vie, au sport ou pas, dans un juice bar ou dans un steackhouse, avec combo mari/enfants ou pas, sans se borner à adopter les codes finalement restrictifs de ce féminisme moderne qui manque cruellement d'audace et se révèle trop souvent mercantile.
Ayant longtemps évolué au sein de plusieurs maisons parisiennes, de Jean Paul Gaultier à Balenciaga en passant par Céline et Givenchy, j'ai travaillé au quotidien avec des femmes qui font la mode. Je n'irais pas jusqu'à me définir comme féministe dans le sens engagé, mais l'éducation que j'ai reçue et mon expérience ne m'ont jamais contraint à voir une différence entre les hommes et les femmes dans l'univers professionnel ou quotidien, même si à mon niveau j'ai bien remarqué que certaines femmes des plus talentueuses se heurtaient à un plafond de verre malgré une direction se défendant de tels traitements.
Mais revenons-en à la Mode. Les années 2000 étaient celles du it-item : le sac, la chaussure, le manteau, la marque. La marque justement. Si Monsieur a raté sa vie sans Rolex avant 50 ans, Madame a raté sa vie tout court si elle n'a pas son Trench Burberry, son Classic de Chanel, son Speedy de Louis Vuitton, sa paire de Louboutin, son Birkin Hermès, et j'en passe. Et si en plus en 2017 elle n'est pas #vegan, on ne peut plus rien pour elle, c'est terminé.
Vous comprenez mon cheminement ? J'ai l'impression de partir dans tous les sens, mais c'est pourtant clair : comment le féminisme qui est un mouvement visant à libérer la femme a-t-il pu être ainsi récupéré par la mode pour devenir un diktat aux seules fins de retombées financières pour les marques, et cela sous les applaudissements des principales intéressées qui en redemandent ?
Si autant de femmes sont prêtes à mettre 600 euros dans un T-Shirt en coton blanc proclamant le féminisme parce qu'il est estampillé Dior, combien seront-elles à mettre la même somme pour créer une fondation ou un think tank dédié à cette cause, qui à l'aube des années 2020 est en train de prendre une nouvelle dimension ?
Il fut un temps où la mode inspirait le monde par sa créativité. Il fut un temps où la mode sublimait la femme non pas au travers d'un vêtement trophée, mais au travers d'une création qui racontait une histoire. Il fut aussi un temps où les femmes n'avaient pas besoin d'un t-shirt à message pour affirmer leurs idées.
Et si le féminisme c'était aussi le pouvoir de faire comprendre à la mode ce qu'on attend d'elle ?
Retrouvez Emmanuel Isaia sur Instagram : https://www.instagram.com/emmanuel_isaia/
Par Lise Huret, le 13 novembre 2017
Merci pour votre point de vue éclairé, qui ne fait que confirmer ce que je craignais le plus : à cannibaliser les sens des mots, on finit dans une soupe indigeste mixée à coup de hashtag qui finit peu à peu à rentrer dans le sens commun... et à tuer le vrai combat qui est le féminisme.