Le style "ugly", le nouveau chic ?
Des campagnes Balenciaga volontairement inesthétiques, aux baskets à l'ergonomie gentiment monstrueuse, en passant par les silhouettes Gucci heurtant la rétine, il semblerait que le summum du chic réside ces derniers temps dans une laideur assumée. Une laideur qui, une fois passée par le filtre embelisseur des comptes Instagram influents, se métamorphoserait soudain en valeur bankable. De quoi s'interroger sur les raisons de cet avènement du laid en terre fashion…
Si Cristobal Balenciaga ou Elsa Schiaparelli assistaient aujourd'hui à un show Vetements, nul doute qu'ils chercheraient dès la fin des festivités à connaître les raisons de cette débâcle stylistique. En réfléchissant un peu, on pourrait alors tenter de leur expliquer ce qui pousse les designers d'aujourd'hui à produire ce genre de collections :A une époque où les collections saisonnières, pre-collections, collections capsule et autres collaborations saturent le paysage, réussir à attirer l'attention est plus que jamais vital pour les maisons désirant s'offrir une place au soleil. Or, une pièce outrageusement oversize, une accumulation loufoque de vêtements ou une déconstruction fanfaronne feront toujours plus de "like" qu'une petite robe noire parfaitement coupée...
Force est de constater que les Alessandro Michele et consorts n'ont pas le savoir faire des grands maîtres du passé. Loin de s'en inquiéter, ceux-ci ont décidé de faire passer leurs lacunes pour des traits de génie en produisant des créations ouvertement inesthétiques où les détournements facétieux et les détails clinquants prennent le pas sur la virtuosité de la coupe. Pour comprendre ce phénomène, il suffit de faire un parallèle avec l'histoire de l'art. Depuis la fin du 19e siècle, l'émotion s'est mise à primer sur l'exécution, aboutissant aujourd'hui à des oeuvres contemporaines valant des millions, mais dont leurs créateurs seraient bien incapables de peindre un tableau de Vélasquez...
Si les designers ont souvent bien du mal à verbaliser leurs idées, ils n'en possèdent pas moins des antennes ultra lucides leur permettant de savoir ce dont les femmes auront envie dans un futur proche. Sentant une révolution féministe poindre à l'horizon, ils se sont ainsi mis à imaginer des silhouettes faisant primer le confort sur la séduction, allant même jusqu'à faire de leurs créations de véritables "men repeller", de manière à protéger toutes celles n'ayant pas encore eu à écrire "#metoo" sur les réseaux sociaux... Le balancier qui régit les mouvements de société existe également au sein du milieu de la mode. Après avoir prôné des années durant tel dress code ou telle tendance must have, les protagonistes du fashion system n'hésitent pas aujourd'hui à dynamiter joyeusement les normes d'hier en érigeant le cadavre exquis stylistique en mètre étalon du chic.
Pourquoi les créateurs chercheraient-ils à produire du beau lorsque le laid peut rapidement devenir extrêmement rentable ? Il suffit en effet que telle basket a priori hideuse se retrouve aux pieds de quelques influenceuses pour que le cerveau commence à se reformater. Celles-ci passeront alors de "ridicules" à "pas si mal", avant de se muer en friandise infiniment désirable…
Se lover dans une doudoune oversize Balenciaga donne aux ultra riches habituées aux chinchillas l'impression de s'encanailler. Or, ce shoot d'adrénaline n'ayant pas de prix à leurs yeux, les créateurs auraient bien tort de ne pas leur en fournir à foison...
Par Lise Huret, le 08 février 2018
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