Mardi
Nous quittons aux aurores un Toronto sous la neige pour atterrir quelques heures plus tard à Phoenix, où le thermomètre affiche 28 généreux degrés. Un passage rapide aux toilettes de l'aéroport nous permet de nous transformer en un clin d'oeil en joyeux estivants !
Pour cette première journée en Arizona, nous avons décidé de commencer en douceur en ne prenant possession de notre camping-car que le lendemain. Entre la fatigue du voyage, le décalage horaire et le fait de n'avoir jamais conduit ce type de véhicule, il nous semblait en effet plus sage de séjourner une nuit à l'hôtel.
De Phoenix, nous ne verrons que le quartier étudiant où nous logeons. L'atmosphère y est bon enfant. Les terrasses des restaurants sont joyeusement animées, les joggeurs portent des micros shorts, les morphologies extrêmement diverses se dévoilent sans aucun complexe, les personnes handicapées évoluent aisément sur les trottoirs, les sans-abris semblent dans leur bulle de douce folie, les pneus des voitures se révèlent énormes… et les gens sont souriants.
Devant une rafraîchissante margarita et une pizza médium qui aurait facilement pu nourrir un régiment de GIs, nous devisons gaiement sur cette « american way of life » qui ne cesse de nous étonner.
En rentrant vers l'hôtel, le coucher de soleil qui dessine en clair-obscur la silhouette des cactus nous laisse sans voix. L'aventure s'annonce des plus dépaysantes.
Mercredi
13h, quartier de Mesa. Nous arrivons chez le loueur. Particulièrement affable, ce dernier semble encore plus excité que nous à l'idée de notre futur périple. Le climax de son euphorie est atteint lorsque, n'y tenant plus, il nous annonce que nous allons bénéficier d'un modèle "brand new". Notre joie sincère paraît alors bien pâle au regard de son enthousiasme de vendeur professionnel…
Jamais je n'aurais cru louer un jour un camping-car. L'objet en lui-même - que les américains appellent « RV » - me déplaît esthétiquement et sa dimension "voyage tout confort" trouble mon âme de baroudeuse. Je l'assimile par ailleurs à une catégorie de personnes d'un certain âge davantage versées dans les mots fléchés que dans la randonnée à sensations fortes. Autant dire que lorsque je me suis rendu compte que la meilleure option pour découvrir l'Arizona avec un enfant de 4 ans était le camping-car, j'ai dû passer outre bon nombre de mes préjugés. Flambant neuf, ce véhicule à géométrie variable se révèle être au final un petit bijou bien moins kitsch que je ne le pensais…
Il est désormais temps de prendre la route. Nous n'avons qu'une envie : quitter la ville. Il nous faudra cependant passer encore une heure ou deux en milieu urbain pour acheter nos provisions. L'option la plus rapide se révèle être de faire nos courses chez Walmart. Nous y trouvons de tout… sauf du bio. Mais peu importe : une dizaine de jours sous pesticides/hormones/nitrates ne nous tueront pas…
Sur la route nous menant vers Sedona, les cactus qui parsèment les collines alentour nous émerveillent. Immenses et de formes diverses, ceux-ci font écho à tant de références cinématographiques, littéraires et photographiques qu'ils capturent notre attention sur de longs kilomètres.
Soudain, le camping-car se déporte sur la droite : de violentes bourrasques de vent font rouler devant nous des boules d'herbes sèches, déportent des nappes de terre à fleur d'asphalte et font tanguer notre nouvel habitat nomade.
La nuit est tombée depuis un peu plus d'une heure lorsque nous franchissons les portes de notre premier camping. Face aux RVs disposés en rangs serrés, je sens une pointe de déception entamer mon enthousiasme. Mes fantasmes de camping semi-sauvage s'évaporent. Tant pis…
Quelques minutes plus tard, Julien a transformé notre camping-car en micro appartement indépendant. Je perçois alors le luxe de ce type d'installation : eau courante (et donc douche), électricité, tout-à-l'égout… autant de points particulièrement appréciables lorsqu'on voyage avec un enfant de 4 ans et demi.
Jeudi
A l'aube, alors que le camping est encore endormi, nous observons avec Charles les hallucinants camping-cars de nos voisins, qui sont la plupart du temps de véritables bus. Des bus possédant des parties coulissantes qui, une fois déployées, permettent à ces derniers de gagner 40% de superficie. Au fil de notre voyage, nous nous rendrons compte que ceux-ci sont le plus souvent habités par de jeunes retraités ayant fait de la route leur terrain de jeu.
Encaissée entre des falaises aux harmonies de teintes saisissantes (strates ocres, rouges et jaunes), bordée d'arbres blancs, d'une rivière cristalline et de chalets pittoresques souvent imprégnés de l'énergie « new age » régnant à Sedona, la route qui nous emmène vers Page est d'une beauté à couper le souffle. Alors que ses lacets sinueux nous font gagner en altitude, de la neige volète soudain autour de nous. En sortant pour admirer la vallée, le froid nous saisit.
Vingt kilomètres plus loin, le paysage s'est métamorphosé. D'immenses blocs de roches rouges parsèment des plaines à la végétation fumée par le soleil. Ici et là, des stands délabrés proposent les productions artisanales des habitants des réserves avoisinantes. Terres arides aux minuscules bicoques et autres caravanes rafistolées, ces dernières me plongent dans une profonde mélancolie teintée de ressentiment. Cette sensation s'accentuera lorsque nous réaliserons que la population Navajo subit de plein fouet ce fléau américain qu'est la malbouffe. L'obésité n'est ici guère exceptionnelle. Voir ces descendants d'un peuple fier à la culture ancestrale abimés de la sorte et réduits à hanter le Mc Do bordant la réserve et à vendre des attrape-rêves pour touriste en quête de souvenirs est pour moi bouleversant.
Une fois installés à Page, nous filons avec Charles escalader le pan de roche aux strates orangées bordant le camping. L'ascension gentiment périlleuse remplit ce dernier de fierté. Une fois au sommet, le panorama qui s'offre à nous se révèle aussi grandiose qu'inattendu…
Vendredi
Le petit parking attenant au site de Horseshoe Bend est quasi plein. Nous parvenons néanmoins à loger notre encombrant véhicule entre un mini bus hippie et une caravane dopée aux hormones de croissance. Il nous faut ensuite parcourir un petit kilomètre à pied pour rejoindre cet endroit hautement apprécié des instagrammeurs en tous genres. Il fait bon, presque chaud. Je n'ose imaginer ce chemin de sable rouge sous un soleil d'été ; la chaleur doit être suffocante. Arrivée au bord de ce fabuleux précipice surplombé d'étroites esplanades naturelles, je suis à la fois saisie par la majesté des lieux et tétanisée par la folie généralisée qui semble s'être emparée des dizaines de touristes autour de nous. Pour un selfie ou une photo posée, ces derniers n'hésitent en effet pas à se percher à quelques centimètres du vide ou à prendre des poses ridiculeusement dangereuses (voir ici, ici et là). Je m'interroge également sur l'inconscience des responsables du site : les crevasses plongeant sournoisement vers le Colorado qui serpente quelques centaines de mètres plus bas ne sont pas signalées ; il n'y a également aucune barrière pour protéger d'un faux pas.
Après avoir escaladé les pentes aux courbes marbrées du plus haut point de vue du site, Charles, intrigué par les empilements de pierres « tibétains », entreprend de réaliser la sienne… À deux pas du ciel, à quelques mètres du vide et face à cet horizon sublimement accidenté, notre périple prend tout son sens.
Peu après avoir pénétré en Utah, nous décidons de stopper notre camping-car face à une chaîne de montagnes et de déjeuner dans notre petite boîte à roulettes. Il y a quelque chose de basiquement magique à faire cuire des pâtes au milieu de nulle part et à les manger confortablement attablé en observant d'énormes corbeaux sautiller dans les herbes hautes… Après deux heures de route, nous arrivons à l'entrée du Parc National de Zion. Je n'en attends pas grand-chose, celui-ci ne faisant pas partie des « hot spots » ayant fait rêver l'adolescente que je fus. Or, je crois aujourd'hui que ce « non-enthousiasme » aura contribué à faire de ce moment le plus grand choc esthétique de ma vie. Il faut dire que la topographie de cet endroit s'avère tout simplement irréelle. Les montagnes, falaises et autres aiguilles rocheuses affichent en effet une telle perfection que la possibilité d'être dans un décor à la Disneyland nous traverse fugacement l'esprit. Au fond du canyon, une tranquille rivière - attention cependant aux crues torrentielles… - attire des troupeaux sauvages, l'eau dégouline le long des falaises sculptées par des siècles d'intempéries et les arbres bordent les cimes horizontales de ces gigantesques massifs rocheux. Nous repartons de cet endroit littéralement subjugués et nous nous promettons d'y revenir lorsque Charles sera un peu plus grand, afin d'arpenter les nombreux chemins de randonnée sillonnant le parc.
A une vingtaine de kilomètres du parc, nous nous arrêtons pour la nuit dans un camping agréable en tous points (accueil aimable, petite boutique permettant de dépanner, espace pour faire un feu, local sanitaire parfaitement propre). Une fois installés, la conversation s'engage avec nos voisins qui jouent de la guitare autour d'un feu. Le père - un Californien aux allures d'adorable baroudeur - nous présente son dernier né qu'il porte délicatement contre lui. Au fil de notre discussion, nous comprenons que les bambins s'ébattant autour de nous sont tous ses enfants. Cette « petite » famille de 8 personnes a choisi l'option « école de la vie ». Ici, personne n'est scolarisé, mais chacun est en avance sur les enfants de son âge. Untel joue divinement du violon, l'aîné dévore 2 livres par jour, tandis que les autres affichent une assurance espiègle faisant furieusement envie. Le clan vit dans une ferme en Californie et dès que l'occasion se présente prend la route pour sillonner le pays. La gentillesse, l'ouverture d'esprit, la générosité (nous trouverons le lendemain devant notre porte un sac rempli de délicieuses oranges) et la liberté de nos amis d'un soir me confirment ce que je pense de plus en plus : dans la vie, le seul chemin qui vaut la peine d'être suivi est celui que l'on trace soi-même…
Par Lise Huret, le 20 mars 2018
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