Samedi
15h - Nous arrivons en vue du lac Powell, immense étendue d'eau artificielle portant le nom de l'explorateur John Wesley Powell, qui fut le premier en 1869 à descendre le Colorado jusqu'au Pacifique. Les lieux sont déserts, mais sur le lac des centaines de bateaux mouillent paisiblement. Je n'ose imaginer les embouteillages lorsque la haute saison bat son plein... Nous longeons tranquillement le rivage, lorsque Charles décide de s'arrêter pour construire un château de sable. Nous préférerions continuer à avancer, mais nous avons appris au fil de ce voyage à accepter de prendre le temps et à être à l'écoute des besoins de chacun. Nous décidons donc de nous asseoir et refaisons tranquillement le monde en contemplant les eaux translucides du lac, pendant que notre progéniture essaie de reproduire le château de Chambord (merci Jamy et Fred de "C'est pas Sorcier").
17h30 - Nous pensions pouvoir faire quelques courses à la mini épicerie du camping, mais celle-ci a fermé ses portes il y a 30 minutes… La mort dans l'âme (ici les lieux de ravitaillement sont aussi déprimants que les paysages sont grandioses), nous nous dirigeons donc vers le Walmart du coin situé à 15 minutes du parc. Nous faisons rapidement nos emplettes : dinde en tranches enrichie en dextrose, boîtes de succulents raviolis au boeuf aux hormones, mélange à pancakes 100% healthy et sachet de pommes vernies aux pesticides... nous sommes parés !
Dimanche
6h ou 7h (l'heure n'est pas la même que l'on se trouve en Utah en Arizona ou dans une réserve indienne, tous ne passant pas à l'heure d'été) - Les pancakes en poudre se révèlent délicieux ! La journée commence bien. Nous nous préparons rapidement : toilette de chat, deux pulls (on empile les couches car il fait froid et nous n'avons pas pris de vêtements vraiment chauds), un pantalon (mon cargo acheté en solde chez J.Crew avant de partir se révèle être le compagnon de voyage idéal : confortable et non totalement dénué de tenue) et une paire de baskets et nous voilà prêts pour découvrir Antelope Canyon !
9h20 - Nous avons été obligés de souscrire à un "tour", car l'accès au site est privé : il appartient aux Navajos. Sur le parking où nous avons rendez-vous à 9h30 précise, un homme imposant aux longs cheveux de jais nous fait monter dans une grosse Jeep. Après 20 minutes de piste de terre rouge, nous arrivons devant l'entrée de ce fameux endroit qui affole tout Instagram. 9h45 - Notre petit groupe de 8 s'enfonce doucement dans ce tunnel marbré aux courbes folles. Très vite, je comprends qu'il ne sera pas question de promenade contemplative : toutes les 30 secondes, notre guide s'arrête pour nous indiquer où nous placer pour réussir à prendre telle "photo à likes", nous demande de poser devant tel hotspot, quand il ne nous emprunte pas notre smartphone pour prendre un cliché dont il connaît le potentiel. Si cela ne dérange pas Julien (il n'hésite pas à filer de temps en temps en avant pour jouer au photographe professionnel), j'aimerais pour ma part pouvoir admirer en silence ces cathédrales ancestrales. Après quelques minutes, je finis par réussir à me couper mentalement du bruit et à ignorer les suggestions "spécial touristes" pour me laisser bercer par les raies de lumières dévoilant aléatoirement les rayures minérales de ce lieu à l'esthétique quasi extraterrestre (voir ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et là). Sur le trajet retour (la visite consiste à traverser Antelope Canyon puis à revenir sur ses pas), je mesure en croisant plusieurs dizaines de groupes que nous avons eu une chance inouïe de visiter le site quasiment seuls.
14h - Après avoir - pour le plus grand bonheur des hommes de ce voyage - dégusté un menu complet chez Burger King, nous filons vers le Grand Canyon. Rapidement, le paysage change. Les conifères colonisent le flanc des montagnes et la neige tapisse les sous-bois. Je ne pensais pas qu'il ferait si froid. À 2000 mètres d'altitude, c'était pourtant prévisible...
17h - Nous installons le RV dans le camping du parc du Grand Canyon. Immense, impersonnel, parcouru de navettes bondées et pensé de manière à développer la dimension commerciale du lieu, celui-ci douche quelque peu la joie que je me faisais à l'idée de découvrir ce panorama mythique. Les températures négatives, les cris de Charles nous interdisant de sortir du RV de peur que nous ne nous fassions dévorer par un puma (le panneau croisé sur la route ne lui a pas échappé), la déstabilisante absence de réseau/WIFI et la fatigue de milieu de parcours achèvent de me convaincre de me blottir sur la mezzanine pour terminer le dernier livre de Joël Dicker...
Lundi
6h - Je m'extrais le plus discrètement possible du lit où Charles et Julien dorment encore profondément (nous avons eu tellement froid - la température est descendue à -7°C - que nous avons fini par dormir tous les trois ensemble…). J'enfile successivement mon pull, celui de Julien, ma veste, une maxi écharpe et je sors. Je coupe à travers bois en priant pour que les pumas ne soient pas du matin. La neige crisse sous mes pas. Je parviens au chemin de randonnée longeant le canyon. Je n'ose pas regarder. Je me rapproche doucement de la barrière en bois et finis par lever la tête. Au loin, le soleil se lève, irradiant graduellement un espace sombre qui se dévoile langoureusement. Le spectacle tient de la mise en scène divine. Je reste là, subjuguée.
9h - De retour au bord du canyon avec Julien et Charles, je suis d'un oeil attentif mon petit garçon qui n'a qu'une envie : escalader le moindre empilement de roche. Soudain, il s'arrête. À quelques dizaines de centimètres de lui, un élégant chien de prairie semble prendre la pose debout sur ses deux pattes arrière. Peu farouche, celui-ci doit être habitué à présenter son meilleur profil aux touristes, qui ne manquent pas de s'émerveiller devant l'adorable dégaine de cet écureuil aux allures de marmotte...
10h30 - Tandis que Charles déchiffre à sa manière les panneaux explicatifs ponctuant le chemin, j'observe les rapaces planer au-dessus du vide. Leur valse lente et majestueuse m'emplit de sérénité.
12h - Direction Monument Valley ! Au fil des kilomètres, les camaïeux de teintes vertes céderont peu à peu la place aux déclinaisons de coloris brique, ce qui renforcera l'impact visuel de ces fameuses forteresses rocheuses. 15h - Renseignements pris, le tour en Jeep susceptible de nous faire découvrir au plus près ces dernières se révèle peu adapté à un enfant de quatre ans (difficile de lui imposer 4h30 de piste juste après 3h de route...). Qu'importe : perdu au creux d'excroissances telluriques, notre camping nous permet d'appréhender les environs à pieds. Entre la découverte d'une majestueuse arche naturelle, l'escalade faussement périlleuse de multiples strates d'immenses cailloux plats, la vision de la silhouette de Monument Valley se dessinant au loin, les multiples formes se dessinant dans les roches et les feulements d'animaux faisant grimper l'adrénaline, cet endroit nous comblera bien plus que n'importe quel tour touristique aurait pu le faire...
18h - À l'épicerie du clan Goulding (pour la petite histoire, c'est Harry Goulding qui fit découvrir Monument Valley au réalisateur John Ford, qui y tournera bon nombre de ses films avec John Wayne), le temps semble s'être figé. Les posters aux murs, les sticks glacés en vrac dans le congélateur et les tubes de laques nous replongent en effet instantanément au coeur des années 80.
19h - Nous participons avec Charles et Julien à notre énième "Immunity Challenge". Fan absolu de l'émission "Survivor" (que nous avons entrepris de regarder en ordre chronologique depuis son lancement), Charles ne manque jamais d'imagination quand il s'agit de créer les épreuves les plus rocambolesques. Le plus savoureux reste cependant les fameux "conseils" autour du feu, et plus particulièrement lorsque Charles vient me demander discrètement de lui faire un modèle pour écrire "Papa". L'espièglerie mutine qui s'épanouit sur son visage quand je finis par annoncer "Papa is voted out !" se révèle alors bien plus savoureuse que n'importe quel s'more...
Mardi
9h - Nous partons plus tôt que d'habitude afin de pouvoir admirer Monument Valley sous une lumière flatteuse. À l'approche de ces donjons de pierre aussi mythiques que glaçants de solitude, j'ai une curieuse impression de déjà-vu. À tel point qu'il m'est difficile de réaliser que je les vois réellement pour la première fois. Ce panorama rocailleux a été capturé par tant de réalisateurs et de photographes - voir ici, ici, ici et là - qu'il a fini par intégrer la liste des lieux peuplant mes digressions mentales, et ce bien avant que je ne fasse physiquement sa connaissance…
9h30 - Arrêté sur le bord de la route, un jeune homme parfaitement looké se saisit de son skate et roule quelques mètres sur la mythique route traversant Monument Valley. Pour la beauté du geste ? Pas vraiment. Une fois l'instant immortalisé par l'iPhone de sa compagne, il remonte en effet dans leur van sans avoir pris le temps de réellement surfer la route. Le cliché Instagram est ici définitivement une fin en soi...
10h30 - Direction le canyon de Chelly. Les kilomètres défilent. Les troupeaux de chevaux en semi-liberté paissent tranquillement sur les vallons. Mes Stories se postent dans le désordre tant le réseau est capricieux dans les réserves indiennes.
14h - À l'entrée du parc du canyon, un panneau indique que la vitesse est limitée à 25 miles à l'heure (40 km/h). Après plusieurs heures de route, se voir imposer une vitesse aussi basse se révèle un brin frustrant. Soudain, à quelques mètres de nous, une biche et son faon traversent la chaussée. Notre allure d'escargot nous permet de les admirer, et surtout de les éviter, ce que ne nous nous aurait assurément pas permis une vitesse plus élevée...
14h30 - Après 10 minutes de marche, le majestueux Spider Rock se dresse virilement devant nous. Le vide est ici à portée de pas et cela en est grisant. Face à cette immensité, l'envie irrationnelle de m'y dissoudre flotte dans mon esprit quelques instants. Il faut dire que l'intensité qui émane de ce lieu est très particulière... Est-ce lié à l'ancienneté des peuples habitant le canyon ou aux légendes entourant ces fameuses aiguilles rocheuses ? Toujours est-il que ce lieu moins connu que ceux visités précédemment me touchera tout particulièrement.
Mercredi et jeudi
Les grandes "places to see" désormais derrière nous, les deux derniers jours s'avérèrent un brin plus flous. En vrac, j'en retiendrai :
Le feu de camp réalisé en duo avec Charles. Collecter le bois sec, souffler sur les braises, écraser sous nos chaussures les brindilles incandescentes sautant du foyer, enfouir sous les flammes des boskoops enrobées d'aluminium et regarder se consumer les pommes de pin m'ont davantage comblée que n'importe quelle acquisition matérielle.
Ma discussion avec une fringante septuagénaire rencontrée sur notre avant-dernier camping. Depuis qu'elle et son mari sont retraités, ils font le tour du monde : Italie, France, Japon, Autriche, Suède… Elle m'explique à quel point il est bon de voyager sans contraintes, sans impératifs, sans port d'attache. Leur seule possession ? Le majestueux bus aménagé stationné à quelques dizaines de mètres de nous. Un fait dont ces ex-architectes s'amusent : "Après avoir construit toute notre vie des maisons pour les autres, nous avons fini par comprendre que la vraie liberté se trouve dans le nomadisme...".
La peur générée par le risque - bien réel - de se faire piquer par des scorpions extrêmement venimeux.
Le bonheur de retrouver en descendant vers Phoenix des centaines de saguaros ponctuant les flancs des reliefs alentour.
Entre panorama grandiose, espace divins entre les campeurs permettant de se croire seuls au monde et douce tiédeur de la nuit favorisant la contemplation du ciel étoilé, notre dernier lieu de campement nous permit de terminer notre périple sur une note sublime.
Par Lise Huret, le 26 mars 2018
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Étonnant, car cette partie des états-unis n’était absolument pas dans la top liste voyages, mais voilà après la lecture de ce road trip, je rêve de partir sans attendre ;)