Simon Porte Jacquemus, l'électron libre
Cultivant une naïveté joyeuse en guise d'arme marketing, Simon Porte Jacquemus bouscule le stéréotype du créateur. Une singularité qui, après lui avoir valu des débuts contrastés, a fini par faire de lui l'une des valeurs sûres de la mode parisienne. Radiographie de ce jeune homme au langage direct et à la bonne humeur communicative qui est parvenu à faire grimper son chiffre d'affaires de 50% en 2017…
Un autodidacte
Alors que la plupart des créateurs de mode choisissent de faire leurs armes au sein de maisons de couture renommées, Simon Porte Jacquemus passe deux mois à ESMOD, puis abandonne ses études. Quelques semaines plus tard, le décès brutal de sa mère le pousse à renouer avec ses jeunes amours. Il crée ainsi sa première collection alors qu'il n'a en poche ni diplôme, ni premier prix, ni années passées au sein du studio de telle ou telle griffe. Juste sa motivation.
Un homme du Sud
Si le "fashpack" ne jure que par Paris, cet enfant du Sud ne rêve quant à lui que de retourner dans son Luberon natal. Chacune de ses créations fait ainsi écho à cette région, à son patrimoine, à ses couleurs, ses traditions. Et s'il travaille à Paris, il n'hésite pas à délocaliser régulièrement ses défilés à Marseille. Grâce à lui, sauter dans un TGV Paris-Marseille n'a jamais été aussi chic…
Un esprit sain dans un corps sain
Des frasques opiacées de Saint Laurent à la silhouette décharnée d'Olivier Rousteing en passant par les addictions passées de John Galliano, le statut du créateur a longtemps rimé avec mode de vie toxique. Un état de fait battu en brèche par celui qui ne passe pas une journée sans activer sa masse musculaire, que ce soit en enfourchant son vélo, en courant le long des quais ou en soulevant de la fonte. Faisant tout son possible pour mener une vie saine, cet éphèbe de 28 ans déclara d'ailleurs récemment : "J'ai vu tellement de génies que j'admirais avoir des vies que je détestais...".
Un naïf moderne
Prenant - consciemment ou non - le contrepied du très cynique Karl Lagerfeld, Simon Porte Jacquemus a fait de l'optimisme sa marque de fabrique. Des bonnes ondes perçues comme presque contre-nature au sein d‘un milieu féru de gossips et de mesquinerie...
Un créateur indépendant
Se voir confier les rênes d'une griffe en quête d'un second souffle, succéder à un démiurge de l'allure ou encore être la caution buzz d'une maison en mal de renouveau font indubitablement partie des ambitions de 99% des jeunes créateurs... mais pas de celui qui fit la connaissance de Jeanne Damas via leurs skyblog mutuels (alors que celle-ci avait 13 ans et lui 15). En dépit des ponts d'or jetés devant sa porte par les LVMH et autres Kering, Simon Porte Jacquemus chérit jalousement son indépendance. Il aurait d'ailleurs déclaré à Anna Wintour : "Ce serait difficile de créer pour une autre maison. J'en ai déjà une grande, elle s'appelle Jacquemus...".
Un professionnel du selfie...
La communication des créateurs s'est longtemps limitée au minimum syndical : quelques mots volés en backstage, une photo au moment du salut final… Une ascèse inconcevable pour celui dont la génération vit avec internet en intraveineuse. Entre photos et "stories" Instagram, le créateur est ainsi son RP, son photographe officiel et son propre paparazzi. Aussi constante qu'esthétique, cette exposition lui permet de cultiver sa fameuse image de "sex-symbol bon enfant" qui n'est sûrement pas étrangère à l'adulation que lui porte la presse…
... et du placement de produit
Parfaitement conscient de l'importance des réseaux sociaux, Simon Porte Jacquemus les place au coeur de sa politique marketing. Une stratégie gagnante si l'on en croit l'omniprésence de la griffe sur Instagram cet été ; les influenceuses se sont en effet arrachées son fameux chapeau en paille au périmètre démesuré (voir ici, ici et là). Sans parler de son récent coup de maître : signer le chapeau de la jeune épouse de Vincent Cassel, dont Instagram à suivi le mariage de près.
Un style sensuellement terrien
Contrairement aux griffes qui font actuellement leur miel de la fusion entre énergie sportswear et style improbable (Gucci, Balenciaga, etc...), Jacquemus propose une mode sensuelle en diable (voir ici, ici et là) délaissant le snobisme cérébral au profit d'une authenticité crue et mettant en valeur le corps de la femme de manière simple et efficace. Et cela plaît.
À noter également
Son insolente confiance en lui flirte parfois avec l'égocentrisme.
Il vénère Picasso.
Ses premiers vêtements étaient dépourvus de poches et de boutons, car cela coûtait trop cher en terme de confection.
Ses débuts furent marqués par un manque de technique et une certaine incohérence stylistique qui empêchèrent certains - dont je fais partie - de le prendre réellement au sérieux.
Il considère Adrian Joffe - directeur général de Comme des Garçons - comme son mentor.
Les femmes qui l'inspirent vont de Marie Laforêt à Isabelle Adjani en passant par les actrices de la série "Sous le Soleil".
Il a obligé sa quarantaine d'employés à s'inscrire sur les listes électorales.
Il collectionne les savons usés.
Il a eu un temps les cheveux longs (voir ici).
Par Lise Huret, le 27 août 2018
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