Quand la différence devient la norme
Si l'on en croit l'actuel paysage fashion, force est de constater que les critères esthétiques qui régnèrent en maître ces deux dernières décennies au sein de l'univers de la mode et de la beauté sont en train de voler en éclats. Analyse du phénomène.
Jusqu'à récemment…
L'uniformité morphologique faisait loi sur les podiums. La tendance était à la minceur juvénile frôlant la maigreur.
L'usage de Photoshop n'était jamais questionné : il fallait systématiquement gommer les ridules, lifter les cuisses, lustrer les fibres capillaires et éclaircir le teint, afin de livrer la "meilleure" image de la personne photographiée (quitte à ce que cette dernière n'ait plus grand-chose à voir avec la réalité).
On s'alarmait devant quelques points de cellulite détectés sur les fesses de Kate Moss.
Si l'on excepte les quelques coups d'éclat ayant mis en scène les tops modèles des années 90, il était très rare de voir défiler ou poser des mannequins de plus de 25/30 ans.
Les femmes voilées n'apparaissaient jamais sur les podiums ou au sein des publications mode.
Les revues street-style publiées sur vogue.com présentaient essentiellement des femmes minces.
Que ce soit dans les magazines ou sur les podiums, les mannequins de type caucasien étaient largement majoritaires.
Les campagnes de publicité pour les produits de beauté mettaient systématiquement en avant des beautés "classiques".
Les différents handicaps étaient considérés comme antagonistes à la notion de glamour.
La situation aujourd'hui
De plus en plus de jeunes créateurs choisissent d'incorporer à leurs castings des mannequins "plus size".
La singularité des mannequins prend peu à peu le pas sur l'uniformité prônée par le passé.
Nombre d'actrices refusent de se voir photoshopées lorsqu'elles posent pour des magazines.
Les shootings "no make-up" ont la cote.
Adut Akech Bior - une mannequin d'origine soudanaise - a été choisie par Karl Lagerfeld pour être la mariée du dernier show Chanel haute couture (voir ici).
Les femmes de plus de 50 ans apparaissent régulièrement sur les catwalks ainsi qu'au sein des lookbooks.
Le handicap pourrait bientôt ne plus être une barrière à l'accès à l'univers de la beauté et de la mode (voir ici, ici et là).
Le 22 février 2018, Anok Yai ouvrit le show Prada (cela faisait plus de 20 ans qu'une mannequin noire n'avait pas ouvert un défilé de la griffe italienne).
Des grandes enseignes telles que Sephora n'hésitent pas à promouvoir - via leurs campagnes publicitaires - des physiques extrêmement variés s'affranchissant des stéréotypes du milieu.
Les dernières revues street-style de Vogue firent quelques entorses à leur "charte morphologique tacite" (voir ici, ici et là).
Le voile n'est plus un obstacle pour embrasser une carrière de mannequin, comme le prouve l'ascension d'Halima Aden (voir ici, ici et là).
À quoi cette mutation est-elle due ?
La mode est soumise au principe du balancier : plus on va loin dans une direction, plus il faut s'attendre à aller loin dans la direction opposée. Après une vingtaine d'années passées à promouvoir un modèle unique de beauté, il est ainsi logique de voir le "fashion system" faire aujourd'hui voler en éclat ce dernier. Une volte-face qui s'inscrit d'ailleurs parfaitement dans l'air du temps, à l'heure où l'inclusivité et la représentation des minorités sont devenus des sujets pivots de la société.
En quoi est-ce positif ?
Qu'on le veuille ou non, les images nourrissent nos fantasmes, construisent nos modèles intérieurs et contribuent à définir nos standards. Or, à force d'être continuellement soumis au même type d'images, notre inconscient finit par penser qu'il n'y a point de salut en dehors de l'esthétique prônée par ces dernières. Difficile en effet d'accepter ses mollets un peu forts, sa peau mate, son tour de taille (que l'on croyait normal, mais qui s'avère apparemment bien trop épais), ses cheveux fins et ses 42 printemps face à une mannequin blanche de 17 ans aux jambes interminables posant pour une griffe de luxe... On ne peut dès lors que se réjouir du récent déclin de l'esthétiquement correct, l'armée de déesses irréelles qui satura pendant des années notre espace visuel étant peu à peu en train de se muer en un patchwork riche et divers, où chacune a enfin sa place.
Les limites du phénomène
Semblant presque trop beau pour être vrai, ce changement de paradigme soulève bon nombre de questions. Les magazines continueront-ils de caster des femmes atteintes d'un handicap ? Les griffes de luxe élargiront-elles leurs panels de tailles ? Les créateurs arrêteront-ils d'aller à la facilité en faisant défiler des vêtements taille 0 ? Celles faisant un 38 ou un 40 - donc potentiellement moins "buzzifiantes" que les femmes "plus size" - se verront-elles un jour représentées ? La mode intégrera-t-elle ces changements dans sa matrice ou traitera-t-elle cette révolution comme une énième tendance éphémère ? Wait and see...
Par Lise Huret, le 21 septembre 2018
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Cependant, cette évolution vers une véritable diversité dans la mode ne sera achevée que lorsque l’on verra des mannequins « différents» dans n’importe quelle série mode, sans que cela fasse événement, sans que cela corresponde à un numéro ou un thème spécifique... A suivre...
NB: ce numéro de Grazia UK est-il en vente actuellement?