Batsheva, la griffe modestement décalée
Aperçues aussi bien sur Natalia Vodianova qu'au sein du magazine Vogue, les robes "prairies" de Batsheva Hay ne laissent pas indifférentes au sein d'un microcosme fashion qui semble en avoir soupé de la "sexyness" premier degré. Deux ans après sa création, la griffe de cette créatrice juive orthodoxe est en effet sur la liste de tous les acheteurs désirant flirter avec l'air du temps...
La créatrice
En 2011, alors qu'elle est une jeune avocate travaillant au sein d'un prestigieux cabinet new-yorkais, Batsheva Hay ne se sent pas à sa place. Elle décide donc de quitter son salaire confortable et démarre une vie qu'elle juge plus en accord avec sa nature profonde : elle devient scénariste à la télévision et se met sérieusement au yoga. Peu de temps après, elle rencontre Alexei Hay - un photographe de mode juif orthodoxe fraîchement converti - qu'elle épouse quelques mois plus tard. Elle devient alors mère au foyer, dans le respect des traditions juives orthodoxes.
Les débuts
En 2016, constatant l'usure de l'une de ses robes vintages préférées (un modèle Laura Ashley hérité de sa mère), Batsheva Hay décide de la faire refaire dans un autre tissu par une couturière du coin. Aussi "Petite maison dans la prairie" soit-il, le résultat lui vaut bon nombre de compliments de la part des mères chics de son quartier (l'Upper East Side). Elle décide alors de faire reproduire d'autres robes "vintage" à la féminité traditionnelle, dont elle s'autorise à modifier certains détails (l'ampleur des manches, la forme du col…) tout en conservant leur dimension pudique. Ses amies ne tarderont pas à lui passer commande…
L'ADN de la griffe
Dès le départ, l'idée de proposer des vêtements correspondant aux valeurs juives orthodoxes telles que la modestie et la rigueur est au coeur de l'ADN de la griffe. D'autres éléments participent également à nourrir ce dernier, tels que le souvenir des robes d'enfant que lui cousaient sa grand-mère israélienne ainsi que l'ironie se dégageant de la série "Untitled Film Stills" de Cindy Sherman (voir ici, ici et là). Il faut dire que la créatrice a beau remplir parfaitement son rôle d'épouse juive (allant parfois jusqu'à porter une perruque), une part d'elle ne peut s'empêcher d'aimer la subversivité. Or, c'est précisément la dualité émanant de ses créations certes pudiques mais ne manquant pas d'un zeste de folie qui rend son travail intéressant.
Le produit
Des robes et des jupes un brin amples, relativement pudiques, à la dégaine désuète et dont le tissu imprimé n'épouse pas les formes. Ponctuées de manches gigots, de volants ou encore de collerettes, celles-ci ont des allures de vêtement pour fillette coquette.
Buzz fashion
Lorsqu'en 2017, Sally Singer (directrice de la création numérique chez Vogue) est aperçue en front row portant un modèle Batsheva, le petit monde de la mode s'affole : "Mais d'où peut bien donc venir cette robe ?". Peu de temps après, les créations pour Amish girl décomplexée de Batsheva Hay se mettent à éclore au sein des magazines de mode et des dressings des filles branchées.
Les clientes
Si la communauté orthodoxe n'a pour l'instant pas été séduite par le vestiaire un brin trop excentrique imaginé par Batsheva Hay, les jeunes fashionistas de Brooklyn et de Downtown Manhattan s'arrachent quant à elles ses robes couvrantes à fleurettes (voir ici et là), qu'elles twistent à coups de baskets branchées.
Les raisons du succès
Après des années passées à dévoiler le corps, la mode s'emploie désormais à le couvrir. Il faut dire qu'entre la montée en puissance du féminisme, le désir de plaire à la clientèle musulmane et la vague #meetoo ayant saupoudré de controverse la notion de séduction, il n'est plus vraiment de bon ton de concevoir des collections ouvertement sexy. Dans ce contexte, le fait de proposer un produit dévoilant une surface de peau extrêmement limitée tout en étant doté d'un twist fashion avait toutes les chances d'attirer l'attention des acheteurs…
A noter également
Toujours prête à brouiller les pistes, Batsheva Hay n'a pas hésité au sein de son dernier lookbook à s'amuser avec sa perruque de femme juive orthodoxe.
A la demande de l'aînée des Hay, certaines robes Batsheva sont déclinées en taille adulte ET en taille enfant.
Les prix restent relativement accessibles.
Personne dans l'entourage de Batsheva ne pensait que son "hobby de femme au foyer" pourrait un jour se transformer en entreprise prometteuse recevant des critiques encourageantes de la part de Vogue et de WWD.
Un attaché de presse n'a pas hésité à dire à la créatrice : "Your dresses are like the official wardrobe of the Me Too movement!".
Selon Lena Dunham (ici en robe Batsheva), les créations de la griffe "ressemblent aux robes de fête dont on rêvait lorsque l'on avait six ans, ou encore aux robes que les personnages de nos livres préférés auraient très bien pu porter".
Batsheva fait partie des 10 finalistes du CFDA/Vogue Fashion Fund (voir ici).
Ce que j'en pense
Si certaines griffes ayant récemment embrassé la tendance "robe prairie" ont prouvé que l'on pouvait jouer avec la notion de pudeur vintage sans pour autant avoir l'air déguisée, ce n'est malheureusement pas toujours le cas de Batsheva, dont certaines créations ont bien bien du mal à estomper leur premier degré. Aux modèles les plus couvrants et accumulants moult détails volontairement datés (voir ici, ici, ici et là), on préférera donc ceux facilement twistables et évitant de miser sur la surenchère "naphtalienne" (voir ici, ici et là).
Site officiel : https://www.batsheva.com/
Par Lise Huret, le 26 octobre 2018
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