Les peignes Art nouveau de Lucien Gaillard
Empreints de poésie organique et de finesse végétale, les bijoux imaginés il y a plus d'un siècle par Lucien Gaillard possèdent une désuétude grisante que les récentes circonvolutions de l'air du temps ont rendue follement désirable...
Jeudi 18 octobre, 22h. Alors que je suis en train de butiner sur la toile en quête d'images susceptibles d'inspirer mes brèves du lendemain, mon oeil fatigué est soudainement accroché par un surprenant bijou : un peigne longiligne décoré des fameuses samares des érables sycomores, dont la chute en hélice a fasciné mon enfance. Le raffinement naturaliste de cet objet capture mon attention et me pousse à m'interroger sur l'identité de son créateur. 23h20 : Après un détour sur le site d'une maison de ventes aux enchères, j'apprends qu'il s'agit de Lucien Gaillard (1861-1942). Fils et petit fils d'orfèvres, celui-ci apprit le métier auprès de son père, dont il finira par reprendre l'atelier. Et si à ses débuts, Lucien est davantage versé dans la fabrication de bibelots, son ami René Lalique le pousse rapidement à s'essayer à la joaillerie. Aidé par les artistes japonais en résidence dans son atelier (il est passionné par l'esthétique nippone), l'homme imagine alors des bijoux dont la délicatesse (voir ici et là) doit beaucoup aux emprunts à la culture et à l'artisanat japonais (usage de la laque, de la corne...).
0h20 : Parmi les nombreux bijoux Lucien Gaillard que je découvre au fil des pages, ce sont les peignes qui me touchent le plus (voir ici, ici, ici et là). Permettant de créer un véritable petit univers à leur sommet sans être embarrassés par les contraintes d'un collier ou de boucles d'oreilles, ces derniers offrent à l'artiste une cimaise idéale. Mes yeux papillonnent : je sais que mon sommeil sera le théâtre de rêves aux arabesques Art nouveau. Quelques jours plus tard, les créations de celui dont le prénom est récemment revenu à la mode continuent de hanter mes pensées. Il faut dire que celles-ci touchent aussi bien ma fibre acheteuse que ma curiosité d'amoureuse de la mode. Pourquoi, plus de 100 ans après leur éclosion, ces dernières m'apparaissent-elles aussi désirables, inspirantes, fascinantes et actuelles ?
Après réflexion, j'entrevois plusieurs raisons :
Certains des bijoux de Lucien Gaillard ne sont pas sans évoquer les sujets traités par Aurélie Bidermann qui, en faisant des feuilles de ginkgo et autres éléments directement inspirés par la nature des bijoux adulés par la gent féminine, a rendu très actuelle l'oeuvre de Lucien Gaillard.
Lors de notre voyage à Chicago, les portes et autres grilles en ferronnerie Art nouveau m'avaient totalement subjuguées. Or, le fait de retrouver cette esthétique sur des mini formats appelés à parer non pas un porche mais un chignon a je trouve quelque chose d'assez grisant.
Ce genre d'objets ont la capacité de me propulser directement au sein du quotidien de leurs anciennes détentrices. J'imagine ainsi leur gestuelle, leurs toilettes, leurs états d'âmes… Plus que des bijoux, ils sont pour moi des sésames vers d'infinies rêveries. Le raffinement de ces créations est tel que ceux-ci n'ont d'autre choix que de se voir patiner s'ils veulent pouvoir trouver une expression contemporaine. Or, télescoper les contraires, porter des accessoires à contre-emploi et marier des éléments apparemment peu compatibles est au centre de ma démarche stylistique. Autant dire que ces peignes me donnent immédiatement envie de les confronter aux duos caban bleu marine/chemise en jean boutonnée haut, ample pull à col roulé/épaisses baskets ou encore veste en peau lainée/ (+ jean droit délavé roulotté sur la cheville).
Il ne me reste dès lors plus qu'à aller quadriller les boutiques vintages en espérant tomber sur l'un de ces peignes, tout en priant pour que son propriétaire n'en connaisse pas la valeur (ou s'en fiche complètement), seule condition pour que je puisse me l'offrir sans passer par la case emprunt…
Par Lise Huret, le 29 octobre 2018
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