Haute Couture printemps/été 2019 : le bilan (1ère partie)
Alors que Paris revêtait pour l'occasion un soyeux manteau de neige, les maisons de couture déployaient quant à elles métrages insensés de tissus, concepts élaborés, raffinement intemporel et débauche de savoir-faire. Passage en revue des principaux défilés ayant émaillé la semaine de la haute couture parisienne...
Givenchy
Cette saison, Clare Waight Keller s'attaque à l'essence même de l'ADN de la Haute Couture en mettant la dualité tailleur/flou au coeur de sa collection. Au fil des passages, son amour de l'architecture le dispute ainsi à une légèreté faussement angélique où percent tour à tour des accents cérébraux, modernes ou ouvertement sexy. La rigueur d'une coupe futuro-classique s'adoucit ainsi au contact d'une dentelle rebrodée à la main (voir ici), l'ampleur dramatique d'un jupon évoquant les toilettes du début du 19e siècle se rationalise grâce à un corsage minimaliste à la tonalité sportswear (voir ici), tandis qu'un blazer à basques voit sa sévérité contredite par l'usage d'une dentelle immaculée en lieu et place d'un élégant drap de laine (voir ici).
On note par ailleurs la volonté de la créatrice d'émanciper le latex de ses connotations SM. Travaillé comme une seconde peau à part entière, celui-ci semble avoir été conçu spécifiquement pour radicaliser des silhouettes traditionnellement couture. Et si les leggings aux reflets luisants ne servent ici que de faire-valoir à la pièce qu'ils accompagnent (voir ici), force est de constater que l'usage du latex gagne en pertinence lorsque ce dernier forme un corset dégoulinant suavement en fleurettes 3D sur un généreux jupon plissé (voir ici).
En dépit de s'inscrire au sein de la semaine de la Haute Couture, Clare Waight Keller n'a pas hésité à présenter un élément prêt-à-porter sous la forme d'un sac à dos hybride, dont l'immense noeud papillon confère une allure d'ange urbain aux belles l'ayant adopté (voir ici et là).
Le décolleté nombril a beau se voir ici traité dans un esprit couture, il n'en demeure pas moins une hérésie (voir ici).
Le traitement "bords francs" des pièces smoking leur confère une subtile rugosité patinant avec à propos leur chic viscéral (voir ici et là).
Valentino
Offrir au passé une nouvelle lecture, s'emparer de l'air du temps afin d'en extraire une vibration positive, s'autoriser le luxe de l'audace et la dextérité de l'excellence : telle pourrait être la charte créative du défilé Valentino Couture de Pierpaolo Piccioli.
"What if Cecil Beaton's photograph of those Charles James dresses could be with black women?" s'interroge en effet Pierpaolo Piccioli. Le mood board du créateur télescope ainsi la fameuse photographie de Cecil Beaton immortalisant en 1948 un aréopage d'élégantes femmes blanches en toilettes Charles James (voir ici) avec de multiples images de femmes noires issues aussi bien de magazines seventies que des "Black Issue" du Vogue Italie ou encore de livres d'art représentant des madones noires du moyen-âge.
Faisant logiquement la part belle aux femmes de couleur, le casting du show fut un événement à lui seul.
Si Pierpaolo Piccioli refuse de proposer une couture contemporaine aux velléités modernistes, ses créations n'en apparaissent pas pour autant déconnectées de la réalité ni fatalement ancrées dans le passé, les monochromes pour robe du soir (ici, ici et là), les harmonies inédites de coloris (voir ici, ici et là), les décolletés aérant les volumes généreux (voir ici et là) et les jeux de transparences (voir ici) permettant aux coupes les plus magistrales d'apparaître parfaitement à leur place au sein d'une collection haute couture de 2019.
On note enfin que Céline Dion n'a pu retenir ses larmes lors de certains passages, que Naomi Campbell - qui clôtura le défilé - semble avoir trouvé le secret de l'éternelle jeunesse et que Edward Enninful (rédacteur en chef du Vogue UK) déclara au sujet du défilé : "Possibly the most emotional show I've ever watched".
Viktor & Rolf
Trublion dans l'âme, le duo qui se cache derrière la griffe Viktor and Rolf s'est amusé cette saison à fusionner de manière potache couture et culture populaire. Les mantras rebelles ponctuant d'ordinaire les tee-shirts des griffes en manque de densité créative migrent ainsi sur des cimaises pour "princesse sous-guccienne" (voir ici), tandis que des inscriptions pour Stories Instagram se patchent sur des trenchs évoquant le travail d'un clone de Simone Rocha et que des textes à la Loïc Prigent s'impriment sur des baby-dolls oversizes dignes de la fête costumée imaginée par Alain Fournier au sein du Grand Meaulnes.
Calibrée pour séduire les réseaux sociaux (dont elle fait pourtant tacitement la critique), cette collection - à l'instar de toutes celles du tandem néerlandais - tient au final davantage de la performance artistique que du défilé de mode.
Par Lise Huret, le 24 janvier 2019
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