Portraits shoesesques de saison #4
Insolites, conceptuels ou infiniment tendances, certains des souliers du printemps 2019 m'ont donné envie d'essayer d'imaginer les contours de celles à qui leurs créateurs les destinent…
L'aspirante hiltonienne
Cousine spirituelle de Paris Hilton, cette vendeuse de choux à la crème délicieusement hors de prix nourrit depuis sa plus tendre enfance une passion irrationnelle pour tout ce qui scintille plus que de raison, du vernis à paillettes pour vedette de télé-crochet aux tiares des protégées de Sylvie Tellier. Ainsi, lorsqu'elle quitte son poste sur les coups de 16h, elle troque immédiatement son uniforme - d'après elle aussi sexy qu'une robe de moniale - contre des atours bon marché brillant de mille feux, au point de faire se pâmer d'envie les micro aspirantes princesses qu'elle croise à la sortie des écoles. Autant dire que lorsqu'elle gratta son ticket de BlackJack hebdomadaire et découvrit qu'une bonne fée venait de lui offrir 5000 euros, elle n'eut aucune hésitation quant à la nature du premier achat qu'elle allait effectuer : une paire de mules strassées que n'auraient pas reniées les filles de Selling Sunset…
La styliste mythomane
Styliste pour l'un des rares magazines de mode n'ayant pas encore rendu les armes face au digital, cette quadragénaire au blond subtilement artificiel sirote son thé matcha en observant les joggeurs de Miami Beach. Actuellement en Floride pour une série mode de 8 pages, elle sait d'ores et déjà qu'elle ne verra pas le début de l'orteil de la mannequin castée pour l'occasion. Il faut dire que ce voyage professionnel tombe à pic pour renouer avec son ex, qui gère désormais la communication du Betsy (l'hôtel jouxtant le sien). À elle ainsi les soirées langoureuses au bord de la piscine en rooftop... et à sa stagiaire la joie de transporter 50 kilos de fringues dans les Everglades. Cerise sur le smoothie : cette paire de boots achetée hier au Webster, qui va lui permettre de convaincre à son retour mari et enfants du caractère héroïque de son métier. La dégaine de cette dernière lui permettra en effet de passer sans mal pour le dessert avorté d'un alligator… Elle s'imagine déjà raconter sous le regard attentif de son innocente progéniture et l'oeil énamouré de son naïf époux comment elle a échappé à la mort en éborgnant un reptile de plusieurs mètres avec l'un de ses congénères transformé en "it" bag Alaïa…
La douce épouse
Fille d'un général de l'armée française ayant fait du whisky son meilleur aide de camp, épouse d'un haut fonctionnaire à cheval sur les conventions et mère de trois fils confondant depuis leur plus tendre enfance les notions de mère et d'esclave, cette ravissante - mais légèrement éteinte - habitante du 6e arrondissement parisien est à bientôt 50 ans davantage familière des effets secondaires du Prozac que des caresses de son conjoint. Traînant un beau matin ses Tods vers Le Bon Marché en quête d'une tenue discrète susceptible de convenir au dress code chic d'une énième réception à l'Élysée, son attention est soudain attirée par une verdoyante tache hirsute siégeant en guest star dans l'une des vitrines du grand magasin. Saisie comme Paul sur le chemin de Damas, elle sent qu'elle a enfin trouvé le moyen de prendre le pouvoir sur les hommes de son foyer. Sa tenue pour cette sauterie entre diplomates ? Un très sage tailleur Max Mara accompagné de… cette fabuleuse paire de claquettes gazon ! Elle n'ose imaginer le regard interloqué, puis les oreilles rougissantes de son mari lorsqu'il découvrira son incartade stylistique entre deux phrases vaines et ampoulées… Soudain, l'avenir de ce ex-éternelle effacée se colore. La remise de diplôme de son égocentrique de fils ? Ce sera en total look Vetements. Les fiançailles de son cadet qui ne l'appelle que pour s'enquérir des dates d'occupation de la maison familiale de Biarritz ? Ce sera en combinaison SM Moschino. Que la fête commence !
La psychorigide en quête de rédemption
Le mot est tombé comme un couperet : psychorigide. Cela même qui avait fait sa valeur ajoutée lorsqu'elle vérifiait jusqu'à l'aube les notes de frais des avocats du cabinet, classait avec une minutie d'horloger les innombrables dossiers de telle ou telle affaire fleuve, retenait par coeur le nom des épouses des clients (mais aussi celui de leurs enfants, chiens, nannies, coachs, maîtresses et secrétaires) s'est mué ces derniers mois en défaut donnant de l'urticaire aux associés de la firme. Elle aurait dû s'en douter : chez elle, son petit dernier ne supporte plus de la voir compter le nombre de petits pois dans son assiette, classer ses slips par date d'achat et ranger les boîtes de pâté en fonction de leur durée de cuisson. Sans parler de son mari, qui a de plus en plus de mal à trouver charmante sa manière de leur imposer le visionnage en famille de "Diamants sur canapé" chaque samedi soir, de manger des aliments jaunes tous les jeudis, de prévoir les vacances deux ans à l'avance, de dresser une liste de "do and don't" avant chaque repas de famille et de renvoyer régulièrement les femmes de ménage sous prétexte qu'elles ne parviennent pas à aligner correctement les pièces du jeu d'échecs… Bref, si elle ne veut pas se retrouver toute seule le samedi soir à manger des pâtes devant Audrey Hepburn, il est grand temps qu'elle essaie d'assouplir un peu les choses. Or, quelle meilleure preuve de bonne volonté que cette paire de derbies qui, en adoucissant sa sévérité au contact d'une semelle joyeusement arrondie, lui évoque celle qu'elle pourrait devenir ?
Par Lise Huret, le 11 avril 2019
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