Militantisme fashion : un cache-misère ?
Rome, 28 mai 2019, musées du Capitole. Le dernier opus Gucci Resort est dévoilé devant un parterre d'happy few. Un opus "fusion" qui s'avère être dans la lignée des récentes collections d'Alessandro Michelle, à la différence près que le créateur décida cette fois-ci de ponctuer certains de ses modèles de détails militants. Utérus brodés, date de la légalisation de l'avortement en Italie ("22.05.1978") et inscriptions telles que "My Body My Choice" viennent ainsi attirer l'oeil du spectateur et fournir aux critiques de mode de la matière pour leurs papiers…
Quelques heures plus tard, les articles consacrés au défilé traiteront ainsi essentiellement de la force du geste de Michelle et de la nécessité de se battre pour les droits des femmes. Or, si la prise de position du créateur - qui colle parfaitement à l'air du temps - fut l'occasion d'évoquer des problématiques réelles, elle a aussi et surtout permis d'éclipser la faiblesse stylistique de sa collection. Un état de fait qui amène à s'interroger sur la dimension "cache-misère" des bons sentiments arborés ces temps-ci par certaines griffes… Prenons tout d'abord le cas de Maria Grazia Chiuri chez Dior. En affichant son féminisme au sein de collections riches en tee-shirts "goodies" pour féministe richissime (710 dollars pour le modèle "We should all be feminists" et probablement tout autant pour le petit dernier "Sisterhood is global"), cette ancienne complice de Pierpaolo Piccioli (époque Valentino) réussit à focaliser l'attention sur sa dimension "première de cordée" (elle est la première DA femme chez Dior), reléguant ainsi au second plan le manque de virtuosité de ses créations. Peu importe la faiblesse des collections Dior, tant que le message de la griffe flatte l'air du temps…
Il en va de même pour Rihanna qui, en mettant l'accent sur la diversité ethnique et morphologique des femmes présentant sa collection lingerie, parvint à masquer la médiocrité - ou tout du moins la banalité - de ses créations. Un choix gagnant, si l'on en juge par les titres élogieux des articles célébrant le coup de force marketing de la jeune femme : "Rihanna's Savage x Fenty Show Was an Incredibly Stunning, Inclusive Celebration of Womanhood", "At Savage x Fenty's Runway Show, All Women Are Goddesses" ou encore "Rihanna's Savage x Fenty Show Highlights Diversity Without Feeling Desperate"... Si la démarche de Maria Grazia Chiuri, Rhianna et Alessandro Michele est probablement sincère, le fait est que leurs créations ne sont pas à la hauteur de leurs convictions. Or, lorsque l'on regarde un show Dior ou Gucci, on s'attend avant tout à être subjugué par des innovations chromatiques, par la majesté de coupes audacieuses, par un stylisme vivifiant ou par des vêtements sublimement portables...
Autrement dit, si Alessandro Michele décide de militer pour l'avortement, pas de soucis, mais qu'il le fasse avec panache au sein d'une collection sublime et non pas en thermocollant à la va-vite une date sur le haut d'une cape ou un slogan sur le dos d'une veste. Stop à la facilité et au buzz militant/marketing : la mode se meurt des prises de positions exonérant leurs auteurs de l'excellence que l'on attend d'eux...
Par Lise Huret, le 31 mai 2019
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