À chaque défilé, lorsque l'homme au catogan vient percer la foule venue le féliciter, Lady Harlech n'est jamais très loin. Aux côtés de Karl Lagerfeld depuis plus de 10 ans, celle qui peut se targuer d'avoir une suite réservée au Ritz six mois par an ne se définit pas comme une muse (appellation qu'elle juge obsolète), mais bien plus comme une personne capable de faire le tri entre les idées, rendant ainsi palpable l'humeur de saison au travers des collections signées Lagerfeld. De son côté, le maître de la rue Cambon la présente comme sa collaboratrice.
Amanda Harlech, "Lady" depuis son mariage avec l'aristocrate anglais Francis Ormsby-Gore, fait partie de cette catégorie de femmes dont l'énumération des qualités, aussi bien physiques qu'intellectuelles, pourrait couvrir plusieurs feuillets...
Gracieuse à l'extrême (elle pratiqua assidûment la danse classique durant sa jeunesse), elle est pourvue de cette élégance innée qui lui permet de porter n'importe quel vêtement avec aisance et allure. Mais elle est également une personne érudite, intelligente, charmante et charismatique, se montrant à l'aise aussi bien dans une paire de Louboutins que dans ses bottes d'équitation...
Cette fascinante quinquagénaire partage en effet sa vie entre les préparatifs des nombreuses collections de Karl Lagerfeld et sa propriété anglaise. Elle y cuisine, monte à cheval et noircit de nombreux carnets, parfois appelés à être publiés.
Originaire de Londres, Amanda y passe son enfance dans un foyer chaleureux et au train de vie élevé (son père est un avocat renommé). C'est en admirant les toilettes de bal de sa mère - une femme dotée d'une beauté exceptionnelle - que la petite fille tombe amoureuse de la magie émanant des vêtements. Comme la plupart les fillettes, Amanda se rêve alors danseuse étoile. Redoutant que la pratique de la danse classique ne lui fasse adopter une mauvaise posture (celle des "pieds en dehors"), ses parents préfèrent cependant l'orienter vers l'équitation...
Le conte de fées prend fin pour Amanda à sa onzième année, lorsque ses parents décident de se séparer. Elle quitte alors le milieu huppé de Regent Street et ses voisins illustres (Jonathan Miller, George Melly, Alan Bennett, etc...) ou en phase de le devenir (Jasper Conran, dont elle s'est fait un ami). Cela n'empêche pourtant pas Amanda d'être une enfant qui excelle en tout : elle se montre particulièrement douée pour le piano, la peinture et les arts dramatiques.
À la fin de son parcours scolaire, elle a ainsi le choix entre intégrer le Royal College of Music, les Beaux Arts ou Oxford. Elle choisira Oxford. Cependant, la vie lui réserve un autre destin que celui d'une étudiante studieuse... Sophie Hicks, amie proche d'Amanda, décroche en effet un poste de rédactrice de mode chez Harpers & Queen et lui demande de l'y rejoindre. Quelque temps plus tard, Hicks s'envole chez Vogue, laissant sa place à miss Harlech...
Commence alors pour la jeune femme une période passionnante où elle rencontre des jeunes photographes prometteurs (tels que Mario Testino) et collabore avec les designers du moment. Malgré cela, Amanda Harlech a du mal à s'adapter à l'aspect parfois trop commercial du magazine ; elle rêve de pouvoir diffuser plus de poésie, de magie et de folie au travers de ses séries mode.
C'est pourquoi, lorsqu'elle rencontre un certain étudiant de la Saint Martins School partageant sa vision de la mode (John Galliano), elle n'hésite pas à démissionner et à se mettre à son service. Elle l'aide alors à finaliser sa collection de fin d'année... Ainsi débute une étroite collaboration sur fond d'amitié. Si Galliano n'a pas les moyens de rémunérer Amanda, celle-ci ne s'en soucie guère, son mari pourvoyant aux besoins de la famille.
Cette période bénie se termine brutalement lorsqu'elle choisi de se séparer de son mari : avec cette décision, elle se retrouver en effet obligée de gagner sa vie. Or, John Galliano est alors en train de signer chez Dior, dont les dirigeants ne veulent pas prendre en charge le salaire de sa muse...
Au même moment, Karl Lagerfeld fait savoir à celle-ci qu'elle est la bienvenue chez lui. Lady Harlech se retrouve alors devant un choix cornélien : suivre son ami - avec qui elle vient de passer 12 années très épanouissantes - gracieusement ou rentrer dans le sérail de Chanel, avec à la clef un cachet conséquent. Nécessité faisant loi, la jeune femme tranche et rejoint l'équipe de Karl Lagerfeld. À la grande déception de John Galliano, qui considère sa décision comme une trahison...
Tout d'abord méfiant à son égard, le staff de la rue Cambon finit par l'adopter lorsqu'il réalise qu'elle ne prendra la place de personne. Elle enchante ainsi rapidement l'entourage de Karl, apportant une touche british à la maison Chanel (elle n'hésite d'ailleurs pas à rappeler que Gabrielle Chanel herself était très liée à l'Angleterre). Entre son quotidien parisien et sa vie plus rustique de l'autre côté de la Manche, la belle trouve également le temps d'écrire un roman, Visions And A Decision, que Lagerfeld se propose de publier...
Point de vue mode pure, Amanda est souvent aperçue vêtue de toilettes monochromes, ce qui ne l'empêche pas d'accumuler dans sa suite du Ritz de sublimes créations griffées, qui font les beaux jours de ses apparitions lors des différentes fashion weeks. Elle conserve également dans sa propriété anglaise quelques robes vintage dont elle a besoin de sentir la présence, tant celles-ci sont porteuses d'heureux souvenirs ou d'événements marquants.
Niveau dress code, si elle ne juge pas nécessaire de suivre les tendances au pied de la lettre, elle considère important le fait de savoir modifier sa manière de porter telle ou telle pièce en fonction de l'air du temps, afin de conserver son style sans pour autant apparaître déconnecté du présent.
Inspiratrice des débuts de John Galliano, éminence grise du clan Lagerfeld... Quelle sera la prochaine étape du destin romanesque de cette "muse", au sens moderne du terme ?
Par Lise Huret, le 04 janvier 2010
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