En effet, les jeunes de sa génération ne trouvent pas de pantalons cool et bien coupés qui leur conviendraient, et c'est pourquoi il a l'idée d'ouvrir un magasin qui distribuera essentiellement des jeans, mais aussi des disques d'occasion… La boutique se nommera Gap, faisant référence au fossé existant entre les générations. Les clients sont au rendez-vous et le business Fisher fructifie : il abandonne la vente de disques, axe ses ventes sur les jeans Levi's et développe ses points de vente.
Cependant en 1976, Levi's impose une grille de prix et Gap voit ses marges diminuer au point de devenir inexistantes. Fisher se voit dans l'obligation de diversifier son offre dans le concept blue-jean et uniforme urbain young génération, et met en place une ligne de tee-shirts.
Il faut attendre 1983 pour Gap devienne le Gap que nous connaissons, grâce à un as du marketing - Millard Drexler - qui reprend les choses en main et relooke complètement la chaîne de magasins. Les tee-shirts, alors uniquement blancs, sont déclinés dans une large palette de couleurs, les boutiques sont entièrement repensées, le logo est retravaillé et deux nouvelles lignes sont lancées : enfant et lingerie.
Gap prend alors son envol et devient un acteur majeur du secteur du prêt-à-porter américain. Le groupe se développe et acquiert entre autres les enseignes Banana Republic et Old Navy. Tous plébiscitent cette marque synonyme du life style générationnel américain. La marque, qui avait débuté en ne faisait que de la publicité à la radio, se lance dans la communication à grande échelle et élabore sa stratégie marketing.
Avec comme leitmotiv : "Individuals of style" (la marque s'adapte aux styles de ses clients), elle leur fournit de quoi s'exprimer et créer leur propre look… Concept qui depuis à fait ses preuves avec des géants tels qu'H et M, qui voient leurs produits associés à des pièces créateurs ou des accessoires siglés.
Puis Gap se lance dans le VIP qui fait vendre, et dès 1988 fait poser Kim Basinger et Louis Amstrong dans ses campagnes de publicité. Les publicités Gap deviennent reconnaissables entre mille, car elles utilisent de façon récurrente les mêmes codes : fond blanc, mannequins venant d'horizons différents et quasi-absence de message publicitaire, car les images parlent d'elles-mêmes.
Le but étant de reconnaître les vêtements Gap et de les voir portés à chaque saison de manière différente, sublimés par les différents charismes de ceux qui les portent. Style minimaliste associé au glamour des stars qui pour l'occasion abandonnent paillettes et strass et se laissent shooter au naturel. Ce parti pris est devenu la marque de fabrique de Gap qui à ce jour a photographié plus de 300 célébrités.
Cependant dans les années 1990, le chiffre d'affaire de Gap ne décolle plus, les Américains semblent être lassés par l'offre du maître de l'uniformité cool qu'ils définissent comme trop basic. En effet, beaucoup d'enseignes se sont développées sur le même secteur et la même gamme de prix en collant plus à l'air du temps : la concurrence fait rage et Gap se voit obligé de penser à ouvrir des magasins à l'étranger.
Gap franchit le pas en 1993, en investissant la capitale française, puis l'Angleterre, l'Allemagne, le Japon et le Canada. Dans ces pays où les jeunes en sont encore à l'American Dream, l'arrivée de Gap est accueillie avec joie. C'est un petit bout de l'Amérique rêvée qui s'invite dans leur quotidien, car à l'extérieur des États-Unis la marque a encore cette aura faite de nouveauté et de qualité. Gap y voit sa planche de salut et développe de façon massive sa présence à l'international. En 1999, il ouvre un flagship sur les Champs Elysées, Gap vit alors son âge d'or européen.
Cependant, des événements fâcheux vont venir ternir son image. Alors que l'enseigne met l'accent durant ses campagnes de pub sur le métissage, le mélange des cultures et le côté enjoy your life, elle se voit accuser en 2002 de faire produire une partie de ses collections dans des sweatshop à Saipan, une île située au large de l'Indonésie. Si Gap ne reconnaît pas avoir profité des mauvaises conditions de travail pratiquées sur cette île, le groupe a néanmoins fini par créer un fond visant à indemniser les travailleuses sous-payées et maltraitées de Saipan. À l'image du cas Nike, Gap aura du mal à restaurer son image…
Ajoutez à cela une stratégie commerciale hésitante, qui ne sait choisir entre développer un vestiaire plus tendance ou conserver le concept des basics, et une diversification peu maîtrisée qui ne parvient à innover et à faire la différence dans les secteurs abordés : Gap baby, Gap Kids, Gap boy, Gap Maternity, Gap accessoires…
Une sorte de cercle vicieux est alors engagé : Gap baisse ses prix pour faire face à la concurrence et fait donc moins de profit, mais perd néanmoins de la clientèle. Pour compenser ses faibles ventes, Gap multiplie les soldes et les marges s'écroulent… Le P.D.G. du groupe démissionne, mais les actionnaires restent optimistes. Ils misent sur la redéfinition du produit Gap qui ces derniers temps avait perdu son identité, faute de stratégie claire et suivie.
En 2007, Gap s'est associé avec le "Council of Fashion Designers of America" et le "Vogue Fashion Fund", pour promouvoir le travail de jeunes designers prometteurs - Rodarte, Thakoon et Doo.Ri - en leur permettant de créer des pièces produites à grande échelle et diffusées dans les points de vente de la marque. Gap amorce peut-être ainsi une reconversion vers un prêt-à-porter plus pointu, moins grande diffusion, sur lequel les marges plus conséquentes pourraient lui permettre de remonter la pente. À suivre…
Par Lise Huret, le 12 septembre 2007
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