J'ai 8 ans. Comme souvent lorsque mon père part faire une course, je décide de l'accompagner, de peur qu'il ne s'ennuie. Je lui parle de mon dernier cours d'histoire, me perds dans les détails, évoque la dégaine du professeur de la classe d'à côté… Un silence, puis il tourne la tête et me dit qu'il aime m'écouter parler. Un compliment énoncé simplement qui surprend la petite fille que je suis et se grave en elle tel un talisman.
J'ai 11 ans. À quelques jours de la rentrée, je pars avec mon père acheter les habits qui accompagneront mon entrée au collège. Sur la liste : une surchemise, un sous-pull et surtout un slim. Pour l'occasion, j'ai le droit de choisir un Cimarron : le Graal ! Dans la boutique, je jette mon dévolu sur un modèle bleu marine, n'osant pas choisir celui qui m'a véritablement tapé dans l'oeil : un sublime slim orange flamboyant. Après l'étape de l'essayage, je rejoins mon père à la caisse, où il m'attend avec un regard complice et deux slims, dont le fameux modèle orange... Dehors, il me confiera que dans la vie, il faut oser, et qu'importe le regard des autres.
J'ai 12 ans. Ma mère tournoie devant le grand miroir du hall d'entrée, faisant voler la jupe que mon père vient de lui offrir. Il nous dit alors que le plus important dans un vêtement, c'est le tombé du tissu. J'en prends note mentalement. J'y repenserai souvent, notamment dix ans plus tard en essayant ces robes APC en coton bien trop léger pour tomber joliment.
J'ai 13 ans. C'est mercredi et l'ennui me guette. Je décide d'aller jeter un oeil à la pile d'albums photo de famille, et plus particulièrement à celui datant des années 70, lorsque mes parents étaient un jeune couple sans enfants. Trois d'entre elles m'interpellent : celle où mon père fait le pitre en jean pattes d'eph' et chemise en chambray, une autre prise lors de son service militaire où il baisse exprès la tête alors que les soldats de son régiment sont au garde à vous et enfin celle de son mariage où, en costume sombre, il m'apparait plus beau que jamais. Insolence, liberté, indépendance et élégance : tels sont les 4 points cardinaux qui ont toujours régenté la vie de mon père. À ce moment précis, je décide de les faire miens.
J'ai 18 ans. L'anorexie au bout des os, je ne pèse pas bien lourd. Décontenancé devant cette fille qui ne mange plus, mon père se tait. Mais lorsque j'évoque mon envie d'aller en Égypte, il prend les billets et s'envole avec moi. Là-bas, le corps rassuré par le vent chaud, l'âme éblouie par le visage des enfants rieurs et le coeur réchauffé par l'amour absolu de cet homme qui veille sur moi, je commence peu à peu à reprendre goût à la vie.
J'ai 19 ans. Ma soeur aînée se marie. À trois jours de la cérémonie, je n'ai toujours pas de robe. Mon père m'emmène alors chez un marchand de tissus et me lance dans un sourire : "À toi de jouer !". Les bruits de machine à coudre émanant de ma chambre et les robes blanches taillées dans les draps ne sont apparemment pas passés inaperçus… En réagissant ainsi, il me fait comprendre qu'il valide ma passion. Je n'ai plus peur. C'est décidé : je quitte le droit pour me lancer dans la mode.
Par Lise Huret, le 07 février 2014
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Je suis vraiment heureuse de la tournure qu'a prise TDM, lire ces chroniques et les week diary sont un vrai plaisir (oserais-je dire que c'est ce que je préfère ?). Merci de nous confier un peu de toi.
Pauline