Chronique #72 : Rêve d'enfant vs réalité
On a tous, enfant, proclamé bien fort face à des adultes amusés : "Quand je serai grand, j'irai vivre… ". Pour ma part, la phrase se terminait par "Canada" et j'ajoutais, un brin fanfaronne, que j'irai également me baigner dans les chutes du Niagara…
J'avais beau ne jamais les avoir vu - ni l'un ni l'autre - en photo, leur simple évocation suffisait à me faire voyager. En m'endormant, j'imaginais ainsi des terres sauvages, des forêts infinies, des cascades cristallines et des montagnes enneigées que je parcourais un sac à dos en toile mastic sur le dos et un Raider dans la poche de ma parka de trappeur. Les chutes du Niagara clôturaient souvent cette rêverie éveillée. Je me souviens les découvrir en pleine nature et passer de l'autre côté de leur rideau d'eau en quête d'elfes bienfaisants ou de contrebandiers romantiques. Au fil des ans, l'image de la terre promise canadienne s'estompa, les chutes du Niagara - à force de visionner le film "Itinéraire d'un enfant gâté" - prirent l'allure des chutes Victoria et tout cela finit au cimetière des chimères enfantines.
Bien décidée à confronter à la réalité mes fantasmes d'aventurière en culotte courte, je me retrouvai il y a quelques jours - grâce aux hasards de la vie - au coeur de la petite ville de Niagara. Le choc fut particulièrement rude : là où j'avais imaginé un site préservé célébrant la beauté naturelle de l'endroit, je découvrais une sorte de Disneyland grotesque, entre volcan en carton-pâte crachant de vraies flammes, nuée de maisons hantées, casinos et junk food à volonté.
Une fois descendue cette rue illustrant à merveille la capacité des Nord-Américains à transformer le moindre endroit touristique en lieu de débauche consumériste, et après avoir fendu la masse compacte des visiteurs se pressant aux balustrades, nous pûmes enfin entr'apercevoir l'objet de notre visite. Là encore, la déception fut au rendez-vous : alors que je les imaginais immenses, elles ne me parurent pas si majestueuses. Elles me semblaient coincées entre la rive canadienne et la rive américaine. Je ne disais rien, essayant de consoler comme je le pouvais la petite fille en moi qui avait envie de s'enfuir en courant.
Puis nous sommes montés à bord du bateau qui emmène les touristes au plus près des chutes. Là, à la proue de ce ferry d'eau douce, la capuche de mon K-way rouge serrée autour de mon visage, je sus que je n'avais pas rêvé en vain. Contemplées d'en bas, les chutes nous révélaient toute leur grandeur, leur démesure. Propulsée en de microscopiques gouttelettes, l'eau formait une brume féerique, tandis que le grondement sonore nous isolait du monde. Face à la force émanant de ce caprice naturel, je me sentis littéralement dissoute. Arrivant à peine à ouvrir les yeux, je sentais l'eau dégouliner sans discontinuer sur mon visage, tandis que les éléments se déchaînaient à quelques mètres de nous...
Quelques minutes plus tard, alors que je dégustais une fausse glace italienne recouverte d'une avalanche de vermicelles arc-en-ciel, je m'interrogeai : aurais-je dû, comme lorsque l'on refuse de visionner l'adaptation cinématographique d'un roman nous ayant bouleversé, rester chez moi ce jour-là et conserver intacte dans mon esprit la version fantasmée des chutes du Niagara ?
Après réflexion, je pense que loin de se parasiter, ces deux visions - très éloignées l'une de l'autre - se complètent. Il aurait été dommage, sous prétexte de ne pas vouloir égratigner un rêve, de me priver d'une expérience que seuls la vie et ses méandres savent réserver...
Par Lise Huret, le 29 juillet 2016
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(ce n'est peut être pas le lieu, là devant tout le monde, de donner mon avis là comme ça,... c'est qu' il y a toujours une petite voix dans un coin de ma tête qui me dit "tu es qui toi pour donner ton avis, comme ça, tu crois quoi ? que tu dis la vérité ? que tu détiens le savoir ? tais toi!").
j'admire ce recul que tu as sur les choses et les événements, le fait de trouver du positif là où on aurait pu céder à la déception, j'espère pouvoir réussir un jour moi aussi à avoir ce type de réflexion...
merci de nous faire partager cela... en tous cas j'y trouve des encouragements
très bon weekend.