Chronique #75 : Instinct de survie
Si nous sommes nombreux à connaître cet état de tristesse moite, de paralysie émotionnelle, de torpeur physique, l'intensité de ces passages à vide varie en fonction de chacun. Certains ne feront ainsi que les effleurer, tandis que d'autres les verront se succéder inlassablement. Je fais partie de la seconde catégorie...
Début septembre, lorsque les lumières de l'appartement commencèrent à perdre de leur éclat, lorsque la saveur du raisin se mit à contourner mes papilles et lorsque les rires prirent une sonorité métallique, je sus que la nuit revenait. Cette nuit familière qui voit l'esprit se brouiller, le bonheur devenir une notion abstraite, les choses perdre de leur importance et où l'on s'éloigne de tout, et surtout de nous. On regarde alors impuissante flétrir l'épouse, la mère, l'amie, la soeur, la fille. On devient une ombre, une silhouette, une anonyme.
Le quotidien se transforme alors en une succession d'obligations indispensables à la survie : travailler un peu, préparer à manger, raconter une histoire, faire semblant, sauver les dernières apparences. Et ce tout en ayant la dévorante certitude que tout cela n'a plus de sens. Jusqu'au jour où migraines cannibales, larmes et incapacité à fixer son esprit sur quoi que ce soit vous clouent au lit. On y végète alors des journées entières, entre un sommeil saturé de cauchemars et le terrible sentiment de voir la vie vous filer entre les doigts.
Oui mais voilà, si cette période d'obscurité psychique peut s'étendre chez moi sur plusieurs semaines, elle se clôture systématiquement par le réveil brutal de mon instinct de survie. Comme si je parvenais à m'extraire de manière inespérée des tréfonds de l'océan et que je n'avais désormais plus le choix, plus le droit de gaspiller une seule seconde.
Je me retrouve alors submergée par un intense besoin d'exister, de faire le tri entre ce qui me nourrit et ce qui me pèse, de remettre en question ma routine et d'identifier tout ce qui a contribué à me mener à cet effrayant état de léthargie. Un sentiment grisant, qui me permet de me rapprocher de cette Lise que les contraintes de l'existence ont parfois trop assagie et de réorienter ma vie afin qu'elle me ressemble un peu plus.
Autrement dit, aussi douloureux soient ces passages de dépression, ils me permettent d'accéder à une lucidité salvatrice doublée d'une formidable envie d'aller de l'avant (sans eux, je ne vous écrirais certainement pas aujourd'hui de Toronto, de l'autre côté de l'océan). En brisant constamment mes zones de confort, ils m'obligent à me tenir au plus près de celle que je veux fondamentalement être. En me menant régulièrement au bord du précipice, ils me donnent la possibilité de faire des choix radicaux qu'une vie douce, sans heurts, ne m'aurait peut-être pas forcée à faire…
Carpe diem !
Par Lise Huret, le 05 octobre 2016
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