Chronique #113 : L'anniversaire canadien
N'ayant connu dans mon enfance que des fêtes d'anniversaire "artisanales" où chasse au trésor, gâteau fait maison et bonbons chimiques suffisaient à nous réjouir, j'ai eu beaucoup de mal à me faire aux "birthday parties canadiennes" pour enfants de 4 à 5 ans, qui tiennent à mes yeux plus de la démonstration de force que du moment simple et festif...
Pour fêter l'anniversaire de leur adorable bambin, les Canadiens choisissent la plupart du temps - j'imagine qu'il y a des exceptions - de louer un espace neutre, à savoir un endroit autre que leur propre logis (ce qui les met à l'abri d'éventuels problèmes d'assurance). Dans cet espace souvent situé sur une zone commerciale, les enfants et leurs parents - qui sont tacitement contraints d'assister aux festivités - sont accueillis par le parent organisateur dont le sourire crispé et le regard laser scannant en permanence le périmètre festif trahissent son état mental : il n'est pas loin du burn-out.Après avoir laissé notre manteau au vestiaire, nous nous dirigeons vers l'autel aux cadeaux, où chacun dépose son présent en offrande. Un présent qui ne sera pas ouvert devant l'assistance et qu'il est de bon ton de placer dans un sac "spécial anniversaire" garni d'une multitude de papiers de soie. À force d'avoir l'impression d'arnaquer le petit roi de la fête avec ma boîte de Playmobil simplement emballée (alors que les autres sacs à cadeaux s'avèrent tous plus majestueux les uns que les autres), j'ai fini par faire mienne la technique consistant à glisser son cadeau - aussi petit soit-il - dans un packaging volumineux...
Les enfants sont ensuite invités à s'installer autour de larges tables où, une heure durant, des animateurs leur feront faire une activité manuelle : de la confection de "gingerbread houses" à la création de masques, en passant par la peinture sur soie (oui, oui…) et la fabrication de "slime" (une idée merveilleuse qui rendit totalement hystériques les mamans lorsque leurs inventifs chérubins se mirent à goûter la mixture toxique/à projeter des filaments collants bleu chimique sur le manteau doudou Max Mara d'une des mères/à étaler en guise de masque régénérant leur pâte gluante sur le visage de leur voisin), les offres proposant d'occuper artistiquement une vingtaine d'enfants sont légion et le marché est très demandeur.
Et si l'on pourrait légitimement supposer que pendant ce laps de temps, les parents peuvent tranquillement échanger sur les meilleurs "summer camps" de la ville autour d'un plat de crudités découpées esthétiquement, ce serait mal connaître les règles de ce genre d'évènements. Assister à une "birthday party" est en effet loin d'être une sinécure, même s'il convient de n'en rien laisser paraître.
Le parent se doit ainsi de superviser subtilement son enfant (afin que celui-ci suive convenablement les consignes des animateurs), tout en donnant l'impression que ces derniers ont parfaitement les choses en main. Dans le même temps, il devra être capable de mener joyeusement une, voire deux conversations simultanées avec les mères ou les pères se trouvant à ses côtés. Vers la fin de l'heure d'activité, il devra réussir à maîtriser son enfant, qui n'a alors plus qu'une envie : se dégourdir les jambes et aller dévorer les chips du buffet.
Si la fête a lieu en fin d'après-midi, l'adulte organisateur aura probablement commandé des pizzas (il est d'ailleurs assez cocasse de constater que les parents sont souvent aussi excités que leurs enfants à l'idée de dévorer une part de margherita). Une fois les estomacs apaisés survient un moment de flottement assez étrange, où les enfants se muent en leurs héros préférés et engagent une bataille rangée, tandis que les parents tentent désespérément de trouver des sujets de conversation.
Arrivé à ce point, la recherche effrénée d'excuses pour m'éclipser avec Charles - alias Iron Man/Tintin/Astérix - se met à faire crépiter mes neurones. C'est souvent à ce moment que les lumières s'éteignent et que le gâteau - esprit Bogato - et les cupcakes surgissent tels des îlots sucrés scintillants.
La surdose de glucides simples achève alors de rendre ingérables les enfants : le slime vole, les gingerbread houses se font grignoter par des quenottes en perdition et les cupcakes expérimentent la notion de gravité, le tout sous le regard stoïque (impossible de trop froncer les sourcils, botox oblige) et le sourire diplomatique des parents (mon enfant n'est pas terrible, il a juste un sens de l'humour très précoce, et puis il est tellement photogénique !). Des parents dont la capacité à donner l'impression d'être dans une bulle les rendant hermétiques au brouhaha sonore et au stress généré par ces 20 petits êtres semblant avoir abusés de substances illicites me laisse sans voix.
Il ne nous restera alors plus qu'à rentrer chez nous, à coucher notre enfant (qui s'est endormi épuisé dans la voiture), à nous servir
Par Lise Huret, le 18 décembre 2018
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