Les marches de bois sombre formant un serpent géométrique autour de notre large cage d'escalier furent les témoins humblement élégants de mes 20 premières années. Je ne compte d'ailleurs plus les souvenirs liés à ces escaliers qu'il était officiellement interdit de dévaler (une règle qui se vit allégrement transgressée par les 6 paires de chevilles véloces des enfants habitant les lieux). En voici quelques-uns...
Parée d'une robe de princesse russe cousue par ma mère, je descends précautionneusement les dernières marches menant au hall d'entrée. La main sur la rampe, la chaussette cherchant le prochain appui, j'ai la fugace sensation de m'être réincarnée en Sissi. Dans l'espoir d'arracher à notre soeur aînée le "Je Bouquine" qu'elle serre jalousement contre son gilet à pressions nacrées, nous la poursuivons avec mon frère dans les escaliers. Entre les marches avalées 3 par 3, les fous rires nous coupant la respiration et la chute magistrale de mon frère ayant raté la dernière marche (ce qui permet à ma soeur d'aller s'enfermer à double tour dans sa chambre), cette course-poursuite dans les étages fait incontestablement partie du "top ten" de sa catégorie. Après avoir paré quatre de nos Playmobil de parachutes (dont l'élaboration nous a pris une bonne partie de l'après-midi), nous gravissons les escaliers du dernier étage afin d'accéder au sommet de la cage d'escalier (un point de lancement idéal pour nos base jumpers). Penchés au dessus de la rambarde, les poings serrés sur les mini toiles en plastique, nous décomptons fébrilement les secondes : 5, 4, 3, 2, 1... GO ! À chaque nouvelle naissance, la peur que le petit dernier passe à travers les barreaux de l'escalier ressurgissait. Les points stratégiques de l'escalier se voyaient dès lors sécurisés par un immonde filet vert. Une hérésie à mes yeux, tant ce plastique souple et grillagé parasitait la beauté sobre de notre escalier. C'est en tout cas l'argument qui me permit de faire retirer exceptionnellement ledit filet avant une soirée pyjama. Le simple fait d'imaginer que mes copines collégiennes puissent le voir me mortifiait… J'effleure de mes doigts la lampe en fer forgé surplombant le pilier final de l'escalier et éclairant le hall d'une lueur chaleureuse. Son feuillage alambiqué rend apparemment son nettoyage difficile : au creux des feuilles, on peut apercevoir un résidu poussiéreux. Or, plutôt que d'agacer l'allergique aux acariens que je suis, ce dernier me procure un inexplicable apaisement. Je ne compte plus les fois où, ayant la paresse de descendre les deux étages, nous nous penchâmes dans la cage d'escalier pour crier à celui ou celle situé au rez-de-chaussée ce que nous voulions lui dire… pour le plus grand bonheur des adultes de la maison ! À la nuit tombée, je m'amusais parfois à emprunter l'escalier de service permettant d'accéder directement au palier du premier étage. Les lumières éteintes, je m'éclairais au moyen d'une bougie fichée dans un bougeoir portatif trouvé dans les affaires de feu ma grand-mère. Le pas précautionneux et l'ombre tremblotant sur le mur, je me rêvais alors en héroïne de Charlotte Brontë... Allongée sur ma couette, captivée par le bruit du vent dans les volets, j'entends un claquement régulier et insolite dans les escaliers. Je saute de mon lit, entrouvre la porte et découvre ma soeur aînée en robe bordeaux et escarpins noirs. C'est la première fois que je la vois porter des talons. Papa l'attend en bas des marches pour l'emmener à une soirée que j'imagine - du haut de mes 12 ans - terriblement chic. Fin des vacances de Noël, nous sommes tous là : les aînées ne sont pas encore retournées à la fac ; mon frère n'est pas parti faire du skate ; mon grand-père est encore parmi nous ; la dernière fait ses premiers pas. Je ne sais plus vraiment qui décide alors de faire une photo sur les escaliers, tous assis les uns au-dessus des autres… Toujours est-il qu'après avoir lancé le déclencheur, nous nous mettons à décompter les secondes. Entre sourires un peu crispés, grimaces facétieuses et regards humides, cette photo nous immortalisant sur ces marches mille fois empruntées se révélera assez mythique...
Par Lise Huret, le 15 janvier 2019
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26 commentaires
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Moule Fripe •Il y a 6 ans
Merci pour ce partage Lise... quel plaisir de te lire!
Que de beaux souvenirs si bien racontés ☺️Je ne peux m’empêcher d’imaginer la maison autour de cet escalier maintenant !
(Est ce que la maison est toujours dans la famille et Charles a t’il la chance d’avoir déjà emprunté cet escalier ?) (Pardonne ma curiosité Lise, c’est une question ouverte qui n’appelle pas nécessairement de réponse !)
La maison a été construite par mes arrières grand-parents. Elle a donc toujours été dans ma famille jusqu'à ce que mes parents décident de retourner pour leur retraite dans leur région de coeur, la Lozère.
La maison a été vendu il y a quelques années. Sur le coup, je n'ai pas mesuré l'ampleur du déchirement. Mais aujourd'hui, elle me manque terriblement...
Ho ! Je comprends ton déchirement. Les maisons de famille sont parfois difficiles à conserver en famille justement... un jour peut être reviendra-t-elle !
Savoir par cœur où placer ses pieds pour éviter que l'escalier ne craque la nuit...
Observer ma famille du premier étage en passant ma tête entre les barreaux...
Glisser le long de l'escalier en colimaçon lorsque nos parents n'étaient pas là..
Monter quatre à quatre l'escalier pour tenter d'apercevoir le père noël par la fenêtre du deuxième étage puis le redescendre et découvrir les cadeaux au pied du sapin..
Merci Lise de m'avoir rappelé de si tendres souvenirs.
Merci Lise pour cette chronique si douce, pleine de poésie qui m'a pas mal émue! La maison et son environnement sont majestueux, merci pour la photo! Comme je comprends le déchirement quand on réalise ( bien souvent des années après, la plupart du temps lorsqu'on devient soi même parent) ce que cette perte représente...
J'ai vécu dans une très grande maison une partie de mon enfance, une maison belle, un peu "délabrée" et pleine de courants d'airs mais très chaleureuse parce que nous la partagions avec mes grands parents paternels, et trois de nos cousins avec leurs parents. Souvenirs irremplaçables de courses poursuites, de Noëls merveilleux....des parties de crèpes à la chandeleur dans la cuisine qui était immense et donnait de plein pied sur le jardin, le jardin un peu sauvage tout en fouillis avec des petites statues dans les herbes hautes et des bancs en vieux fer forgé tout branlants.
Mon grand père et mon oncle y avait fait un petit "théâtre de verdure" et les enfants costumés de bric et de broc y donnaient des "représentations" !
Chère Lise, lorsque je lis tes chroniques, je me trouve transportée dans un des films de Claude SAUTET (je porte le même prénom que son épouse ), un de ses films chorale des années 70 dans lesquels il savait si bien mettre les acteurs en valeur: Romy Schneider, Yves Montand, Michel Piccoli ...
"Une histoire simple" qui raconte "les choses de la vie", à chaque palier de l'escalier une émotion se profile, merci !!
C'est épatant d'avoir pu inscrire ses souvenirs d'enfance dans un espace aussi magique !
Y avait-il un grenier ? J'ai un fantasme non assouvi depuis toute petite de maison avec grenier, forcément empli de trésors poussiéreux...
Merci pour ce partage !
Oui, il y avait un grenier ;) Du temps de mon grand-père, c'était un endroit poussiéreux remplis de vieilles photographies encadrées, de meubles vétustes... On avait une peur bleue d'y monter.
Puis, mon père l'a fait rénover et c'est devenu une bibliothèque.
Ooooh j'adore merci !!
On a toutes connu des trucs qui nous semblaient immondes dans notre maison d'enfance mais qui ne choquaient que nous et on auraient (presque) préféré mourir plutôt que d'assumer !! Comme ton filet vert qui m'a bien fait rire !
Sinon je me souviens bien de cet escalier majestueux quand vous aviez dû quitter cette maison à regret ...