Chronique #116 : Jours de neige canadiens
Alors que 20 généreux centimètres de poudre blanche recouvrent actuellement les toits des gratte-ciels et qu'une magistrale congère s'est formée sur notre balcon, de multiples souvenirs et autres constatations liés à la neige en terre nord-américaine me viennent à l'esprit…
27 décembre 2017, 10h. Depuis que nous avons quitté l'Ontario, les flocons s'écrasent mollement sur le pare-brise ; si les alentours sont immaculés, l'horizon reste relativement dégagé. Chicago est encore à 3 heures de route lorsque le GPS nous propose un itinéraire bis apparemment moins encombré que celui nous faisant passer par la voie rapide. Nous bifurquons. Coïncidence ou non, une fois sur cette route étroite, les éléments se mettent soudainement à se déchaîner. La neige jusque-là doucereuse se mue en des tourbillons aveuglants. En une poignée de minutes, nous ne distinguons plus la chaussée. La lumière des phares se reflète dangereusement sur un écran blanc grésillant, tourmenté. Nous roulons au ralenti dans un paysage flou où l'on distingue par intermittence les silhouettes fantomatiques de fermes isolées. Le temps est comme suspendu. L'atmosphère étrange, le silence assourdissant et la catastrophe potentielle - nous venons de croiser une troisième voiture ayant glissé dans un fossé - me donnent l'impression d'être en plein coeur d'un songe hitchcockien. Une demi-heure plus tard, nous sortirons sains et saufs de cette tempête de neige avec le sentiment d'avoir vécu un moment unique. Si le sel bleuté qui se voit généreusement déversé sur les trottoirs torontois nous permet d'éviter de malencontreuses glissades, il n'a néanmoins pas son pareil pour salir une entrée en un temps record. Devant les nombreuses traces blanches laissées sur le parquet du vestibule, je comprends l'intérêt d'une pièce "sas" permettant de s'équiper et de se déséquiper sans craindre de tout salir…
En nous promenant entre les maisons d'un quartier résidentiel huppé de la ville, nous découvrons avec étonnement que certains chemins goudronnés menant aux vastes demeures sont miraculeusement épargnés par la neige. Non pas nettoyés, mais réellement épargnés. Avec Charles, nous imaginons alors les propriétaires gérant, via une télécommande météorologique ultra sophistiquée, l'endroit précis où tombent les flocons. Nous apprendrons quelques jours plus tard que ces allées sont en fait équipées de câbles chauffants antigel. Et Charles de reconnaître, pensif : "C'est pas mal non plus comme système...". Lorsque le sol se couvre de neige, il n'est pas rare de voir les chiens arborer deux paires de petits chaussons, allant du modèle technique antidérapant à la mignonnerie fleurant bon la femme-enfant sous ecstasy, en passant par la double paire léopard pour apprentie fashionista.
Entendre le bruit sourd des flocons s'écrasant sous la semelle de mes Timberland me procure invariablement l'étrange sensation de marcher sur des platebandes de barbe à papa.
Peu importe si les bourrasques de neige font rage et si le thermomètre flirte avec les -15 degrés Celsius : nous continuons de croiser de temps à autre des jeunes femmes asiatiques les jambes nues dans leurs boots Gucci fourrées… D'où viennent ces filles, où vont-elles ? Leur trajet ne peut excéder une dizaine de minutes (et encore), sous peine de s'exposer à des gelures. Mystère...
26 décembre 2018, Rouge National Urban Park. Seuls au sein d'une nature figée par le froid, nous débouchons dans une immense clairière enneigée. Le silence dense presque palpable qui enveloppe l'étendue opaline encore vierge de toute trace de pas me procure une sensation quasi mystique.
Lorsque les chutes de neige ont été généreuses, nous n'attendons qu'une chose : nous saisir de nos luges pour aller dévaler les pentes d'un petit parc situé à quelques "blocs" de chez nous. Sur le chemin du retour, le décalage entre notre dégaine joyeusement ébouriffée et celles des riches clientes des enseignes de luxe bordant notre avenue me fait toujours sourire. En période hivernale, les enfants se transforment en de véritables poupées russes polaires. Pour aller à l'école, Charles n'enfile ainsi rien de moins qu'un collant, un tee-shirt manches longues, un sweat pant, un tee-shirt, un sweat, un pantalon de neige, un snood en tissu polaire, une chapka fourrée couvrant bien les oreilles, une paire de gants adaptée aux températures polaires, une paire de chaussettes grand froid et une paire de bottes fourrées imperméables… (voir ici)
Le week-end dernier, la vision féerique des tourbillons de neige évoluant sur la surface gelée du lac Ontario (voir ici) valait assurément les deux engelures que j'ai découvert à mon retour en retirant mes chaussettes… (non, je ne suis pas aussi bien équipée que Charles ;) )
Au contact de la neige, les trajets que nous effectuons quotidiennement à pied perdent leur visage routinier : les amas lactés chutant des arbres chétifs bordant le trottoir provoquent l'hilarité de Charles (surtout quand ceux-ci ratent de peu un passant frigorifié), les barrières des chantiers se muent en grillages de stalactites dignes du palais de la Reine des neiges, tandis que les monticules de neige créent une topographie inédite flattant l'imagination des esprits rêveurs.
Trois ans après notre arrivée à Toronto, observer du haut de notre 56e étage, une tasse de thé brûlant entre les mains, la neige qui arrive par nuages pressés et qui ensevelit petit à petit le paysage m'hypnotise toujours autant.
PS : La neige dans les rues de Toronto ce midi... (voir ici, ici et là)
Par Lise Huret, le 29 janvier 2019
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