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Chronique #119 : Ces minis cailloux du passé, mes chaînes d'aujourd'hui
Je ne sais pas si cela vient de ma pratique - hiératique - de la méditation, du fait d'approcher de la quarantaine ou du besoin de plus en plus viscéral de me libérer de certains poids qui alourdissent mes pas, toujours est-il que je me suis récemment mise à lister de manière méthodique les petites choses/phrases/situations ayant contribué à nourrir les mécanismes régentant chez moi l'alimentation, l'estime de soi et la perception du corps. Voici de manière brute la liste - non exhaustive - de ces derniers…
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Dans mes yeux d'enfant, le sucre devient alors une sorte de sable précieux et délicieux que j'ai la chance - contrairement à mes aïeux - de pouvoir consommer autant que je le souhaite.
Sur le coup, j'ai surtout été gênée pour elle, puis je suis rapidement passée à autre chose. Je crois cependant aujourd'hui que cette remarque faite à la fillette de 7 ans que j'étais m'a placée à jamais dans la case "garçon manqué". Je pense ainsi qu'elle est à la genèse de mon usage très limité des éléments considérés comme féminins (maquillage, talons, sac à main, décolleté...) et peut-être également de ma difficulté à accepter la dimension féminine de mon corps.
Papa passait pour le héros et maman pour la gardienne d'une routine peu enthousiasmante. Et tout cela se matérialisait par des aliments riches pour l'un et sains pour l'autre. Ce genre d'événements ont façonné ma façon d'interagir avec la nourriture.
Le sucre est incriminé. C'est la première fois que je perçois le potentiel destructeur de la nourriture.
Ce moment mêle le bonheur inattendu de voir mon père prendre du temps sur sa pause du midi pour venir m'embrasser à celui d'une débauche de sucre. J'ai aujourd'hui du mal à ne pas associer moments festifs et friandises. Un instant de joie sera ainsi incomplet sans un aliment gorgé de glucides rapides. Heureusement que Charles n'aime pas les bonbons, je lui en offrirais beaucoup trop souvent...
Ces considérations émises aussi bien par mes amies que par le boulanger ou le maître nageur me perturbent, car je ne trouve alors pas que ma soeur ressemble à ma mère, ni que celle-ci ressemble à mon frère. Comment pourrais-je dès lors leur ressembler ? Ajoutez à cela des paroles rassurantes face à une photo de moi ratée : "Oh mais tu ne ressembles pas du tout à cette photo" et vous obtiendrez une gamine ayant l'impression de ne voir jamais le même visage dans la glace.
D'un coup, un voile se déchire : je ne mangerai plus jamais sereinement du sucré. Ce reproche qui ne m'était pas adressé saupoudre aujourd'hui de culpabilité chacune de mes bouchées de chocolat.
Encore aujourd'hui, je n'arrive pas à savoir exactement ce que j'ai ressenti sur le moment, je crois un mélange de honte et de fierté. J'étais en effet à moitié "baisable", c'était déjà cela. Mais très vite, une tristesse diffuse m'envahit pour ne plus me quitter. Mon image se chiffonna et je pense que je ne suis toujours pas parvenue à la défroisser totalement.
S'ils n'ont à première vue rien de bien terrible, ces mots m'ont pourtant littéralement piétinée. Ils confirmaient ma peur la plus profonde : celle d'être floue, vague, pas vraiment ceci, pas assez cela... Moi qui ne jurais alors que par les extrêmes, me voir ainsi attribuer un "5/10 esthétique" par cette femme que je détestais me fracassa les neurones.
Petit à petit s'est ainsi tissé une sorte de code de conduite alimentaire pour la gamine mal dans ses Doc Martens que j'étais. Je ne pouvais pas modifier ce visage que je trouvais si bizarre en photo ? Qu'à cela ne tienne : j'aurai un corps irréprochable. Ce qui est totalement fou, c'est que j'ai toujours été mince. J'ai du mal encore aujourd'hui à comprendre pourquoi mon désir de métamorphose s'est soudainement fixé sur la graisse que je n'avais pas vraiment.
Rétrospectivement, je pense que ce moment a fixé en moi l'équation "beauté = absence de nourriture".
Kate Moss... le Graal ! Sans le savoir, il vient de valider tous mes efforts, tous mes décomptes de calories, tous mes repas sautés…
Ce genre de situations - qui furent nombreuses au plus fort de mon anorexie - ont nourri ma difficulté à me percevoir. Qui suis-je vraiment ? La jeune femme que je vois dans le miroir et dont j'apprécie la courbe des os ou bien ce squelette ambulant provoquant des chuchotements de pitié sur son passage ? À qui me fier pour savoir à quoi je ressemble ? Vingt ans après, je ne sais toujours pas.
J'ai repris un tout petit peu de poids : mon corps est donc "montrable", mais je continue de me sous-alimenter. Or cela personne ne le sait et le fait de me choisir pour porter une tenue lilliputienne m'envoie un message très clair : ton corps est parfait comme cela et si tu recommences à t'alimenter normalement, cette perfection disparaîtra.
Dans mon cerveau, tous les voyants passent alors au rouge. Si elle me trouve "en forme", cela veut dire qu'elle trouve que j'ai grossi depuis la dernière fois que l'on s'est vu. Depuis la fin de mon anorexie, la moindre remarque faisant écho à une idée de rondeur me rend folle.
On ne peut donc pas se nourrir sainement et avoir un corps longiligne, ferme et délié ? Une ligne svelte est-elle forcément synonyme de privation ? Depuis mon anorexie, la simple évocation du mot "régime" me plonge dans des questionnements intérieur sans fin.
Faire face à ces situations ayant marqué mon subconscient et modifié ma matrice est à la fois douloureux et libérateur. Douloureux car percevoir la fragilité de l'enfant/adolescente que je fus me bouleverse. Libérateur car l'adulte que je suis aujourd'hui est capable d'analyser froidement ces micro événements, de les jauger, de leur redonner leur juste place, de détricoter sereinement leurs conséquences et de prendre peu à peu le pouvoir sur ces mots/maux du passé...
Par Lise Huret, le 05 mars 2019
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Il faisait beau, j'étais à 45min à pieds de chez moi, j'ai décidé de rentrer à pieds plutôt que le métro... Tout du long, je pensais à ce qu'il venait de me dire... A bientôt 32ans, toujours ce même (relatif) manque de confiance en moi... Toujours à chercher à être rassuré par les autres ou au contraire à jouer les grands susceptible à la moindre remarque (souvent maladroite).
Le pire pour moi à été au collège... Et je pense que les réflexions de la part de mes "camarades"à l'époque se répertorient encore aujourd'hui sur ma façon de me voir et donc d'interagir avec les autres...
Pour finir sur une note positive et optimiste, je sais aller mieux et je sais que ça ira encore un peu mieux...