Voici les quelques réflexions que m'inspirent cette série :
Les visages lisses de la jeunesse ne racontent pas d'histoire. On y perçoit un caractère, une force, un élan, mais rien n'y est encore réellement inscrit. Les traits sont légèrement arrondis, l'enfance tarde à s'effacer… Je ne pense pas être nostalgique de cet état, même si celui-ci est synonyme d'épiderme sans ridules.
La manière de se vêtir et de se coiffer peut considérablement accélérer ou au contraire inverser le phénomène de vieillissement visuel d'une silhouette. D'une année sur l'autre, il arrive ainsi que les soeurs apparaissent plus jeunes ou beaucoup plus âgées que sur le cliché précédent, suite à un changement de coupe de cheveux ou à un choix vestimentaire plus ou moins heureux. À l'heure où l'on se fait combler une ride aussi facilement que l'on s'achète une nouvelle paire de mules, se rappeler que certaines teintes/coupes peuvent être plus efficaces que la toxine botulique ne fait pas de mal...
Au fil des clichés de Nicholas Nixon, on perçoit peu à peu les personnalités des unes et des autres. Or, loin d'être un ennemi, le temps semble affûter ces dernières : les expressions se font plus intenses, plus profondes, parfois plus douces ou plus dures. On oublie trop souvent que jeunesse rime avec tourments et incertitudes ; vieillir au contraire solidifie, ancre, densifie.
En observant les photographies des soeurs Brown, je ne peux m'empêcher d'examiner la manière dont chacune à traversé les années. J'essaie notamment de déceler les raisons faisant que Laurie (née en 1954 et placée toujours sur la droite) me semble être celle qui a le plus subi les outrages du temps. Je comprends assez vite : pour une raison que j'ignore (maladie, deuil, problèmes hormonaux...), Laurie a changé de silhouette. Alors qu'elle avait toujours été svelte, elle s'est arrondie. Et si peu importe en soi la prise de poids, cela marque néanmoins un décrochage avec celle qu'elle était auparavant et c'est personnellement ce décrochage qui me fait peur. Certaines personnes vieillissent en restant les mêmes. D'autre n'ont pas cette chance et deviennent une autre. Je me moque des futures lignes qui sillonneront mon visage, mais j'espère sincèrement réussir à conserver un corps svelte me permettant de garder un lien avec la Lise d'aujourd'hui. 4 soeurs… Étant issue d'une famille comprenant 5 filles et 1 garçon, je sais qu'il n'est guère aisé de trouver sa place au sein d'une fratrie. Il est cependant rassurant de voir qu'en dépit des jalousies (potentielles) de l'adolescence, des incompréhensions (supposées) jalonnant les réunions de famille et de l'éloignement généré par la fatigue de maternités successives, l'affection des soeurs Brown ne semble que s'accentuer de cliché en cliché (voir ici, ici et là). Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec ma propre fratrie, où le temps ne fait qu'accentuer la profonde tendresse que nous nous portons mutuellement (et ce même si les années post mariage/premier enfant de chacune ont légèrement distendu la fréquence de nos communications).
Les années 70 sont définitivement mes préférées : pantalons larges taille haute, robes imprimées… (voir ici, ici et là)
Entre étreintes protectrices, force vitale, bravoure tacite, visages sculptés par les aléas de l'existence et liens semblant indestructibles, ces photos me donnent envie pêle-mêle d'appeler mes grandes soeurs, de m'aimer, de poser un regard serein sur l'avenir, d'accepter les cheveux blancs que j'ai renoncé à teindre, de percevoir le fait de vieillir comme le seul moyen de gagner en sérénité et de me replonger au sein de nos albums photos de famille...
Voir toutes les photos : https://artsandculture.google.com/4wKyddPLBQrELQ
Par Lise Huret, le 26 avril 2019
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