Chronique #131 : Ne plus remettre à demain
Trop souvent, j'ai cru ma mémoire infaillible, pensé que telle petite action pouvait attendre un peu avant d'être réalisée, que j'aurais le temps plus tard, que rien ne pressait. J'avais tort... Tour d'horizon de ces petites choses faussement anodines qu'il est selon moi dommageable de remettre à demain…
Noter sur un carnet une petite phrase joliment absurde, une expression née d'une confusion phonétique ou une prononciation insolite émise naturellement par une bouche enfantine. Celle-ci m'émeut tant sur le moment que je suis persuadée qu'elle restera gravée à jamais dans mon esprit, qu'elle stagnera bien sagement à la surface de ma mémoire vive. Or, lorsque je me décide enfin - plusieurs heures plus tard - à aller chercher ledit carnet recueillant ces bribes d‘innocence verbale, impossible de la reformuler correctement… Envoyer un message à une amie que j'apprécie profondément - mais que je ne vois pas suffisamment souvent - et lui proposer de prendre un café dans l'après-midi. L'envie est là, mais mille excuses me font différer ces possibles retrouvailles, si bien que les jours - voire les semaines - filent sans que cette caféine aux vertus fraternelles ait pu réchauffer nos âmes pourtant avides de se retrouver...
Essayer un vêtement hors budget m'ayant tapé dans l'oeil dans une vitrine. Parfois, la peur du regard de la vendeuse sur mon look post gym, l'angoisse de ne pas m'aimer dans le miroir ou la certitude de ne pas acheter ladite pièce (n'ayant pas 900 dollars à dépenser dans une robe) m'empêchent de franchir le seuil d'une boutique. Je passe donc mon chemin. Je garde cependant en tête l'image de cette robe, qui commence peu à peu à me hanter. Les autres vêtements en ma possession m'apparaissent alors fades et l'idée sournoise qu'avec elle mon quotidien sera bien plus chic s'insinue en moi. Il aurait pourtant suffi que je l'essaie pour que le sortilège se brise. Une fois celle-ci enfilée, j'en aurais profité pour en analyser les détails - afin de dénicher plus tard un ersatz moins onéreux aux caractéristiques similaires - et je serais passée à autre chose...
Complimenter mon mari ou mon fils. Il n'est pas rare qu'une de leurs actions m'inspire un compliment. Pour autant, je ne le formule pas forcément à haute voix : j'ai peur que la situation ne s'y prête pas, de casser l'harmonie du moment, de les gêner… Or, quoi qu'ils en disent, les hommes - grands ou petits - ont fondamentalement besoin de ces paroles reconnaissant leurs qualités...
Faire le geste qui pacifiera une relation. Il suffit parfois d'un simple coup de fil, d'une lettre ou d'un texto pour désamorcer un conflit familial. J'ai beau en être consciente, il m'arrive de ne pas faire le premier pas, de laisser mon orgueil guider ma conduite. Que de temps perdu, de soirées à s'endormir sur un fond de tristesse alors que faire preuve d'un peu d'humilité peut sauver plus d'une situation désespérée...
Enfourcher mon vélo et laisser le vent balayer mes tourments. Il arrive que le besoin de m'échapper en pédalant se fasse pressant, presque irrationnel. Mais le clavier n'attend pas : il faut écrire, publier… Alors je reste rivée à mon écran. Pourtant, je sais d'expérience qu'une heure d'escapade urbaine à filer entre les gratte-ciels en direction du lac Ontario me rendrait au final bien plus productive que de passer la journée à fixer désespérément l'écran blanc de mon laptop...
Me débarrasser des aliments qui ne me conviennent pas. Véritable drogue douce, le Coca Cola Light me tient à distance des sucreries et me booste tout au long de la journée. Oui mais voilà, j'ai récemment réalisé qu'il me donne également des maux de tête. Étant sujette aux migraines, il est ridicule de continuer à consommer un produit pouvant accentuer - voire générer - ces dernières. Après avoir lu un énième papier sur les méfaits de l'aspartame, je décide donc de jeter mon stock de canettes. Enfin, la prochaine fois que j'irai dans la cuisine… Oh, et puis je le ferais plus tard, il est l'heure d'aller chercher Charles... Sans surprise, celles-ci sont donc restées dans mon réfrigérateur. Le lendemain, l'envie de sentir les bulles de caféine éclater sur ma langue s'avéra malheureusement bien plus forte que ma prise de conscience du lien entre Coca Light et migraine...
Répondre à un mail que j'imagine infiniment stressant. Il est là, bien en évidence dans ma boîte de réception. Il s'agit souvent d'un message professionnel. Pour une raison que j'ignore, j'angoisse à l'idée d'y répondre, alors je le classe en prioritaire et essaie de penser à autre chose. Jour après jour, sa présence sournoise grignote ma bonne humeur. Jusqu'au moment où je n'ai plus d'autre choix que de m'y atteler, sous peine de créer un incident diplomatique. La réponse se révèle souvent des plus simples à rédiger...
Accepter de faire une bataille sur le lit avec mon fils de 6 ans. Il est si simple de prétexter la fatigue/le travail/un repas à finaliser pour contourner ce genre de demande... et je le fais régulièrement. Or, suis-je réellement certaine de vouloir faire l'impasse sur ce moment où, temporairement transformés en ninjas/sorciers, nous nous affronterons jusqu'au fou rire ? Qui sait si demain Charles n'aura pas franchi cette frontière invisible rendant ma présence moins indispensable ?
Par Lise Huret, le 26 août 2019
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Comme je voudrais croire que quelques petits gestes suffisent parfois à éviter de grands conflits!