Chronique #153 : Mon bureau, évolution et envies
Avec sa silhouette studieuse et son bois usé par mes aînés, le bureau de ma chambre d'enfant - puis d'adolescente - fut des années durant mon château fort, mon île, ma tanière. Situé dans une maison immense où s'ébattait une fratrie de 6 enfants, il était l'endroit où je retrouvais mon unicité. Je n'étais alors plus l'une des 6, mais le petit démiurge de mon propre univers…
Cet univers était alors constitué de : Trois tiroirs. Dans le premier siégeaient 3 boîtes d'allumettes que j'avais rembourrées de tissus afin de les rendre confortables pour mes minuscules elfes imaginaires apprivoisés. Dans le second, des matériaux en tous genres s'accumulaient en vue de possibles bricolages. Quant au troisième, il renfermait dessins, histoires, poèmes, cartes aux trésors et plus tard correspondances amicales et amoureuses.
Une surface plane éclairée par la vieille lampe d'ingénieur des mines de mon grand-père et partiellement recouverte par une joyeuse accumulation de feuilles blanches, de marrons d'Inde ramenés du jardin et de boîtes de conserve reconverties en pots à crayons…
Un mur (auquel le bureau était accolé) qui devint rapidement le miroir graphique de mes émotions. J'y accrochais des vers de Mallarmé, des coupures de journaux m'interpellant, les couleurs que je créais avec mes gouaches, les photos ramenées d'Inde par mon père, les dessins de mon frère ainsi que les vers de la tirade finale de Cyrano de Bergerac.
Il me suffisait alors de m'asseoir à ce bureau sans prétention pour que l'extérieur se floute, que les problèmes s'éloignent et que la nécessité de créer s'impose.
Or, une fois envolée du nid familial, je n'ai jamais plus réussi à recréer cette bulle quasi mystique. Il faut dire que mon bureau est devenu au fil du temps un élément du mobilier comme un autre, aussi fonctionnel qu'interchangeable. Il me suffisait en effet de poser sur une table quelconque mon laptop, mon clavier, ma souris sans fil, mon agenda et un gri-gri (une fleur, un gadget souvenir, l'étiquette de la griffe d'une amie...) pour que celle-ci devienne mon lieu de travail. Au fil des ans, j'ai ainsi fini par accepter cette nouvelle neutralité, cette dématérialisation, ce pragmatisme extrême à des années-lumière de la créativité fertile que générait chez moi le vieux meuble de mon enfance. Oui mais voilà, je ne sais pas si cela tient au fait de vivre actuellement 24h/24 avec Charles ou à l'apparition du sentiment diffus - mais bien réel - d'avoir enfin trouvé ma place, toujours est-il que je n'ai jamais eu autant envie de trouver un successeur spirituel au bureau de mon enfance. Un bureau navire, au bord duquel je pourrais monter chaque matin et voguer au large…
Alors je rêve. Je me promène sur la toile en quête d'inspiration. J'élabore les contours de mon fantasme. Je sais que ledit bureau ne prendra pas place dans un espace fermé (j'écris mieux lorsque la vie s'agite autour de moi) et devra être suffisamment massif pour ne pas donner l'impression de s'excuser d'être là. Je veux une bulle blindée, mais transparente. Je ne veux pas m'intégrer au design de la maison (voir ici), je ne veux plus de ce minimalisme photogénique que je continue de trouver esthétique (voir ici et là) mais qui ne correspond plus à mes attentes. Je veux un meuble qui me touche, un compagnon chaleureux. Si je le pouvais, je choisirais le bureau de mon grand-père au plateau partiellement recouvert de cuir, aux tiroirs profonds, aux pieds gainés de cuivre et à l'odeur si particulière (mélange d'encre et de tabac). À suivre...
Par Lise Huret, le 03 juin 2020
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Merci pour cet article, j’aime beaucoup ces introspections que tu nous livres.
Peut-être pourrais-tu chiner ce fameux bureau ? Un meuble qui aurait un vécu. N’y-a-t-il pas de petits brocanteurs près de chez toi ?
Je te souhaite un bel après-midi,
Affectueusement