La nouvelle est tombée hier matin : le Portugal ferme ses écoles. Si elle réjouit mon fils de 7 ans, cette annonce fit frissonner d'effroi mon épine dorsale, tant je suis réfractaire à l'idée de devoir gérer de front mon travail ET le sien. Et puis je me suis souvenue des rituels qui émaillent ma relation avec Charles et donnent une saveur particulière à notre quotidien. Je me suis alors dit que tout irait bien. Florilège de ces soupapes sanctuarisées…
Chaque soir, juste avant d'aller se coucher, Charles grimpe sur mon lit, s'entoure du plaid en fausse peau de mouton et attend patiemment que je finisse mes recherches sur l'ordinateur. Une attente généralement de courte durée, le moment de l'histoire du soir étant aussi sacré pour moi que pour lui.
Emmitouflé contre moi, il ne bouge plus. Le voyage va commencer. Soudain, les mots s'élèvent dans la pièce. Des mots compliqués - nous avons décidé de lire tout Jules Verne - mais qui, portés par une intrigue palpitante (nous sommes actuellement en plein milieu de Deux Ans de vacances), le bercent tout en le fascinant. La première page s'achève, il se redresse : il sait que la deuxième page est pour lui. Entraîné par le flux de la première, il ne rechigne pas à lire ce texte qu'il ponctue de son accent anglais. Il est fier, tellement fier de me raconter lui aussi une histoire. La page se tourne, il souffle, sourit et se love dans la toison artificielle. Je reprends la lecture et ne tarde pas à entendre le souffle profond d'un petit garçon endormi.
Depuis la toute petite enfance de Charles (quand les trajets en voiture le faisaient hurler en continu), lorsque je m'installe sur le siège avant, je ne peux m'empêcher de tendre le bras à l'arrière pour lui prendre la main. Au fil des ans, ce cordon ombilical d'appoint est devenu un véritable vecteur de communication, les pressions de nos mains rythmant notre propre code Morse :
Pressions répétées : "Est-ce que papa va encore longtemps parler de Napoleon ?"
Pression longue ponctuée par un petit lâché : "Oui, malheureusement".
Rapide oscillation du poignet : "J'ai envie de faire pipi".
Une pression : "Message reçu".
Doigt essayant de dessiner une lettre sur ma paume : "Un Mac Do ?".
Immobilité totale : "Dans tes rêves"
Depuis que Charles est scolarisé, je prépare chaque matin sa "lunch box" (ici comme au Canada, il n'y a pas de cantine dans son école). Lorsque vient l'heure du déjeuner, Charles ouvre ainsi sa boîte isotherme souple pour y trouver son repas et... un dessin. Il s'agit le plus souvent de quelques traits faisant référence à un événement récent le concernant, le tout saupoudré d'humour (voir ici). Il m'est arrivé une fois de l'oublier, ce qui déclencha un mini drame lacrymal à l'école. Depuis, c'est la première chose que je fais lorsque j'arrive dans la cuisine le matin…
"Et tu vois, à la fin…" - "Je touche !". Chaque fois qu'au cours d'une conversation Charles ou moi identifions un mot ou une phrase pouvant coller à la tirade du nez de Cyrano de Bergerac, nous dégainons la suite. Appris à 14 ans pour moi et à 5 ans et demi pour lui, ces vers truculents font notre bonheur et nous éprouvons un plaisir gourmand à les déclamer dans n'importe quelle situation.
A force de vivre avec nous, Charles a parfaitement identifié nos faiblesses ainsi que les stimulus auxquels nous répondons. Dans mon cas, il sait pertinemment que s'il me lance un défi en disant les 4 mots magiques "T'es pas cap !", je me sentirai obligée de le relever. "T'es pas cap d'aller dire bonjour au vieux monsieur en face" : Fait ! "T'es pas cap de prendre cet escargot dans tes mains" : Beurk, mais fait ! "T'es pas cap de me faire 50 bisous " : Fait ! "T'es pas cap de ne pas mettre de chaussettes dans tes baskets" : Fait ! "T'es pas cap de sauter dans la piscine (quand il fait 8 degrés à l'extérieur)" : Fait !
S'il déclenche régulièrement des crises de fous rires familiaux mémorables, ce running gag m'a aussi permis de constater que mon fils est bien moins cruel que moi à son âge. Dans la même situation, j'aurais sans doute tenté de faire avaler un pot de moutarde à ma mère, de faire danser en petite culotte ma soeur dans la rue et de convaincre mon père de repeindre le J5 en jaune vif...
Lorsque l'ennui pointe son nez gris et que la météo nous interdit d'aller nous promener, il n'est pas rare que Charles vienne esquisser un petit "take off" devant moi. Je dégaine alors mon portable : c'est le moment de prendre notre shoot d'adrénaline en regardant les Kai Lenny et consorts dévaler des vagues monstrueuses. Tels des junkies, nous enchaînons les vidéos où les lois naturelles se voient défiées par une poignée de kamikazes. Pendant 10/15 minutes, notre rythme cardiaque connaît les mêmes ratés. Nous sortons de ces visionnages épuisés mais complices. Bon, on se fait une réussite ?
Mais aussi…
Tous les 3 mois environ, Charles me réclame la "tondeuse maléfique". Cela signifie que ses cheveux commencent à être trop longs à son goût, mais aussi et surtout qu'il a bien envie de se regarder se métamorphoser successivement en chef Pawnee (Danse avec les loups), en petit reporter belge (Tintin), puis en moine bouddhiste (celui de l'appli Petit Bambou)... Chez nous, mardi soir rime avec soirée cinéma : nous choisissons avec Julien un film que nous avons aimé enfant ou que nous avons envie de découvrir ensemble (derniers en date : "Le jouet", "Les compères" et "L'homme de Rio") et nous le savourons en dégustant une pizza maison. Tous les matins, sur le pas de la porte (juste avant que Charles ne saute dans la voiture), nous confions notre journée à Dieu. Lorsqu'à 11 mois Charles entendit pour la première fois "The Final Countdown", il nous gratifia instantanément d'une danse mythique. Depuis, il nous suffit de lui faire écouter cette musique pour le mettre de bonne humeur. Et on ne s'en prive pas... Chaque samedi matin, je verse du chocolat chaud dans un thermos et nous partons avec Charles rejoindre un point de vue imprenable sur l'océan. Après environ 20 minutes de marche, face aux vagues grondantes, le premier petit déjeuner du week-end nous galvanise.
Par Lise Huret, le 22 janvier 2021
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47 commentaires
Tous les commentaires
Laetitia •Il y a 4 ans
De beaux souvenirs ! 😍
On a quelques manies en commun ! Nous c'est le Cid que l'on récite ensemble !
Cela nous fait toujours rire d'entendre Alice dire sur tous les tons : Ô rage Ô désespoir Ô vieillesse ennemie 🤣
Et puis, pour rigoler, j'ai chanté Lara Fabian et mtnt, elle veut que je lui apprenne toutes les chansons trop bien 😅😅 " de mon époque "...
Courage avec le confinement ! Passez de bons moments ensemble
Coucou , vos rituels sont géniaux! J'ai adoré les lire!
Nous avons également créé les nôtres à la maison. J'adore ça, je me dis toujours que ça lui fera plein de bons souvenirs pour l'âge adulte et l'envie de créer les siens! Nous avons en commun le mardi soir, c'est soirée dessin animé/patates/saucisses (le repas préféré de mon loulou) et notre pizza maison (cuite sur pierre au four), c'est le samedi soir!
Profitez bien!!
Lise, il s’agit d’une pierre réfractaire (vendu avec une plaque en bois à recouvrir de semoule fine pour que ça la pizza glisse bien dans le four)! Elle était livré avec mon four mais on peut facilement en trouver (sans le four...). ;)
Le résultat est top! Tu fais ta pâte? J’adore la faire de A à Z! (Avec une option pâte du commerce pour les jours de flemme) Tu comprendras bien, j’adore la cuisine! Je pourrais en parler pendant des heures...mais là, je vais me retenir! Lol! Bonne pizza du mardi soir!
Tu m'as convaincue :) Je vais m'offrir une de ces pierres !
J'utilise la pâte que je fais pour le pain (lorsque je fais du pain ;), sinon c'est la pâte de boulanger achetée en grande surface. :)
De cuisiner ensemble, d'ecouter de la musique dans la voiture, de discuter sans fin de tous les sujets possibles, de faire des projets (couper, coller, peindre, coudre, construire, planter).
En tant que parents, on fabrique les souvenirs de nos enfants. Les miens sont maintenant de jeunes adultes, mais ils se rappellent encore les 3 petites assiettes que je préparais pour eux à leur retour de l'école, en disposant les fruits et les biscuits en forme de visage. Ils en ont reparlé à Noël et j'étais toute émue...
Merci pour ce beau texte. Vous semblez partager une belle relation tous les 2.
J'ai hâte que mon fils grandisse (pas trop hâte quand même, je savoure d'avoir encore mon petit bébé pour qq temps) pour créer avec lui nos petits rituels et développer notre relation.
C'est si beau de lire ces témoignages de maternité.
J'aime la beauté de ces bulles intimes entre les mamans et leurs enfants.
Et aussi à quel point ces expériences unissent instantanément toutes les mamans qui l'ont vécu.
Merci Lise! Nous aussi, dans certaines régions en italie, on est retombé en confinement dur. Ecole fermées et parents qui travaillent à la maison à longueur de journée. Pas facile! Alors Jules Verne tombe vraiment très très bien! A voir si je le déniche en italien! Bises et très bon confinément à ceux qui s'y trouvent!
La grande (13 ans) le comprend et le parle un peu. Elle aime bien les bd, Astérix surtout, on a les deux versions et elle s'amuse à retrouver le sens. Le petit (10 ans) adore m'écouter lui lire les petits livres en français que je lui ramène de Paris à chaque fois que j'y vais pour mon travail. Les grands classiques chez nous sont: "Au lit, les affreux!" et "Tu ne dors pas, petit ours?" Mais quand il lit tout seul en italien, des courts romans comme ceux de Vernes vont très bien!
Très émouvant. Tu es une maman merveilleuse et tu me donnerais presque envie d'en avoir un moi qui ressens à la fois grande peur et grande curiosité/envie face à la maternité.
Je te trouve tellement VIVANTE. Toute émue et inspirée par ton texte (par les précédents aussi :-). MERCI !
Je te souhaite un confinement le plus simple et sympa possible.
Toutes ces petites et grandes choses partagées entre vous , moi j'appelle ça le socle ......de son bonheur , de sa sérénité et de sa capacité à affronter tout au long de sa vie d'adulte.
Même lorsque les souvenirs s'émoussent on retrouves clés pour prendre les bons chemins .
Ces jolis rituels m ont rappelé qu avant la pandémie, j emmenais ma petite fille au bain public ts les mercredis soirs. J ai hâte d y retourner.
Aah les soirées pizza! Chez nous c était plateau télé ts les vendredis et je n aurais pas voulu manquer ce moment. J attends que ma petite soit un peu plus grande pr reprendre la tradition.
Mon coeur de mère de famille est plus que touché... On a parfois tendance à ne voir que les moments pénibles du quotidien, la fatigue... Mais il y a aussi tout ça et c'est évidemment infiniment précieux.
On a quelques manies en commun ! Nous c'est le Cid que l'on récite ensemble !
Cela nous fait toujours rire d'entendre Alice dire sur tous les tons : Ô rage Ô désespoir Ô vieillesse ennemie 🤣
Et puis, pour rigoler, j'ai chanté Lara Fabian et mtnt, elle veut que je lui apprenne toutes les chansons trop bien 😅😅 " de mon époque "...
Courage avec le confinement ! Passez de bons moments ensemble