1ère étape : La lune de miel
Mai 2020. Après plusieurs années passées en Amérique du Nord dans des appartements perchés à plusieurs centaines de mètres du sol, nous emménageons dans une maison de plain-pied située dans la région de Cascais (Portugal).
Cette bâtisse immaculée est en tous points conforme à mes rêves les plus audacieux, à savoir construite face à la mer sans aucun vis à vis, gorgée de lumière grâce à ses immenses baies vitrées, entourée d'immenses eucalyptus et située à la sortie d'un petit village dont l'authenticité contraste avec les rues aseptisées de Toronto…
Nous la louons meublée. Ancien Airbnb, elle possède un intérieur photogénique qui, à défaut de correspondre totalement à mes goûts, n'est visuellement pas désagréable. Nos meubles arrivent dans trois mois ; il sera alors bien temps de prendre esthétiquement possession des lieux...
Les premières semaines s'auréolent d'un savoureux sentiment de nouveauté : tout est découverte. Entre les apéritifs pris en contemplant l'océan, les chaudes après-midi où les enfants s'éclaboussent dans la piscine, les couchers de soleil contemplés en famille, les feux de cheminée, les réveils agrémentés du chant des oiseaux, les grandes tablées et le yoga sur les dalles d'ardoise encore tièdes, j'ai l'impression d'avoir emménagé au paradis.
2e étape : Cohabitation
20 août 2020. L'excitation monte : le conteneur en provenance du Canada est enfin arrivé à Lisbonne. Nos meubles sont à portée de main. J'en oublie instantanément l'odeur d'humidité tenace de certains des placards de la maison, le manque de lumière dans la cuisine, les objets de déco en bois flotté qui attirent la poussière, les plinthes gonflant avec l'air marin... Tous ces petits désagréments découverts au fil des mois s'effacent : nos meubles arrivent !
26 août. Trois oeuvres de Christo se dressent dans le jardin. Apparemment, le contrat avec la société de déménagement ne comprend pas la mise en place des meubles dans la maison... Enrobés de film noir, ces derniers forment trois énormes masses conceptuelles qui ne m'annoncent rien de bon. Comment allons-nous faire pour ne rien abîmer en transportant ces 20m3 de bois/aluminium/cuir/mousses/glaces ?
29 août. Désormais à l'abri de la pluie, du vent et du soleil, nos meubles canadiens attendent bien sagement de trouver leur place. Je n'ai qu'une hâte : recréer notre nid douillet torontois en disposant ses composantes au sein de notre nouvel espace de vie. Oui mais voilà : ayant été pensées pour un appartement de 70m2 avec cuisine américaine et salon/salle à manger 2 en 1, celles-ci semblent soudain bien esseulées au sein de cette maison de 200m2. Je réalise alors que les différences entre les deux logements sont légion (sols plus sombres, pièces plus spacieuses, volumes gorgés de "vibrations portugaises") et que recréer un semblant d'harmonie va être ardu.
Mais je n'ai pas le choix : ne comptant pas remeubler entièrement la maison (nous n'en avons ni le temps, ni l'envie, ni les moyens), je dois faire avec ce que j'ai. Je pousse donc les commodes, déplace les lampes, détourne les tabourets en tables de chevet, retire les tapis et place au garde-meuble tous les éléments déco qui me hérissent le poil. Je finis ainsi par obtenir un environnement relativement confortable, faute d'être 100% cohérent.
Et qu'importe si nos luminaires fétiches sont inutilisables (pas le même voltage) et si nous n'avons que 5 chaises à placer autour de la table ronde de la salle à manger (alors qu'il en faudrait 8) : assis dans notre canapé en velours bleu, nous savourons son confort indéniable tout en regardant Charles jouer aux Playmobils sur la grande natte portugaise couvrant le sol du salon… tout va bien.
3e étape : Prise de conscience
3 avril 2021. J'en arrive au stade où je ne supporte plus de vivre au sein d'un puzzle d'éléments mal assortis. Il faut dire que deux événements récents ont considérablement abaissé mon seuil de résistance au style "campement bohème"...
Je pense tout d'abord au confinement portugais ayant privé Charles d'école pendant un mois et demi : culpabilisant d'imposer à mon fils une énième coupure avec l'extérieur, je l'ai peu à peu laissé prendre possession de notre espace vital, entre batailles rangées de Playmobils sur la cheminée, base Lego au centre du salon, cabane dans le couloir et fort constitué de BDs sur l'immense banquette faisant face à la cheminée. Et bien entendu, interdiction de ranger quoi que ce soit : les aventures courent sur plusieurs jours…
Ajoutez à cela un accident canin nous ayant privés de la moitié de notre canapé chéri non déhoussable et vous obtiendrez un lieu de vie ressemblant à une expo d'art brut.
Sur le moment, tel le homard que l'on cuit en faisant monter graduellement la température, je ne me suis rendu compte de rien. Et puis un matin, en marchant pied nu sur une couronne Playmobil, j'ai ouvert les yeux et j'ai dit stop.
4e étape : Définition de nos besoins/envies
5 avril 2021. Il est temps pour nous d'arrêter de vivre comme si nous étions continuellement en partance. Notre propriétaire nous ayant récemment confirmé que nous pourrons louer la maison aussi longtemps que nous le voudrons, je me sens libre de consacrer du temps à l'élaboration de notre intérieur.
Mais par où commencer ? J'ai beau ingurgiter quotidiennement des centaines de photos de déco, je suis bien incapable de savoir ce dont j'ai réellement envie. Cela ne m'empêche cependant pas de me lancer à corps perdu dans ce nouveau projet qui me semble urgent, voire existentiel. Je compose ainsi différents mood boards pour chaque pièce, trouve des logiciels pour meubler virtuellement ces dernières, examine à la loupe les reportages de "The Socialite Family" et pense photogénie, tendances et approbation des amies…
Rapidement, je m'épuise et me décourage : je n'arrive à rien. Je repense alors à une conversation que j'ai eu récemment avec un ami architecte, qui m'avait confié aimer intégrer dans ses plans un espace "qui ne sert à rien", afin que les gens puissent se l'approprier et lui conférer une fonction correspondant à leurs besoins.
Je réalise alors que je ne peux penser les pièces de notre maison comme une photo instagramable. Pour que cela fonctionne, je ne peux pas rester en surface. Il me faut ainsi traiter le sujet "maison" comme je traite le sujet "garde-robe", à savoir :
Accepter le fait qu'il s'agisse un processus qui prend du temps.
Faire des choix pour moi et non pour les autres.
Privilégier des meubles qui servent notre mode de vie.
Faire primer la qualité sur la quantité.
Privilégier la simplicité.
S'autoriser des coups de coeur insolites.
Mes idées deviennent dès lors plus lisibles. Concrètement, j'aimerais un espace moelleux disposé près du bureau de Julien (afin que nous puissions avec Charles lire à ses côtés lorsqu'il travaille en soirée), une étagère où l'on pourrait disposer nos créations (l'idée étant que celles-ci nous incitent à activer notre imagination au quotidien), des coussins doux et folk dont la simple vue suffirait à nous réchauffer les entrailles, des lumières jaunes qui adouciraient nos journées grises, des tapis où l'on pourrait s'allonger sur le ventre sans avoir mal aux coudes, mais aussi des assises nombreuses, basses et confortables, propices à accueillir de longues discussions enflammées…
5e étape : Action
À suivre...
Par Lise Huret, le 28 mai 2021
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