Chronique #180 : Naturel vs blondeur
Enfant, je vénérais les filles aux cheveux sombres : être brune, c'était faire partie de la tribu des Jo March et autres Punky Brewster et se positionner aux antipodes des stéréotypes Mattel. Qui aurait cru que 30 ans plus tard, la blondeur que je croyais réservée aux filles sages - voire insipides - me libérerait ?
Avril 1993"Maman, Elodie s'est teint les cheveux, tu en penses quoi ?"
- "Je pense que l'on n'est jamais aussi belle qu'au naturel. La couleur de tes cheveux a été pensée pour fonctionner avec celle de tes sourcils, avec ta carnation. Si tu modifies cet équilibre, tu prends beaucoup de risques".
Le naturel : l'alpha et l'oméga des règles de beauté maternelle. Des règles que ses 5 filles ont presque toutes suivies à la lettre : aucune de mes soeurs ne se maquille vraiment, ne se colore les cheveux ou n'envisage d'avoir un jour recours à la médecine esthétique.
Pendant toute mon adolescence, le naturel - qui sublimait ma mère - fut ainsi pour moi une valeur cardinale, inviolable, essentielle. Mes cheveux châtains manquaient de volume ? Qu'à cela ne tienne : j'en faisais des chignons et ne pensais jamais à leur adjoindre un quelconque produit volumisateur.
Plus tard, lorsque mes premières mèches blanches apparurent (vers 23 ans), je n'envisageais pas d'avoir recours à une coloration artificielle. Il me fallait faire avec ce que j'avais, être heureuse d'être en bonne santé et concentrer mon attention et mon énergie sur autre chose que l'apparence physique.
Oui mais voilà, je n'étais pas satisfaite. Je rêvais de pouvoir laisser mes cheveux libres sans avoir l'impression d'avoir deux rideaux ternes m'encadrant le visage et ne supportais pas de voir apparaître des signes de vieillesse capillaire alors que je n'avais pas encore 25 ans. Pour autant, envisager de modifier ce que la sacro-sainte nature m'avait donné me pétrifiait.
Il me faudra ainsi attendre d'être à 7900 km de distance de mon milieu/ma famille/mon pays (à l'occasion de notre expatriation à Vancouver en 2012) pour que mes réticences se mettent enfin à se fissurer.
"You need highlights, my dear !" : l'injonction de cette amie canadienne aux jolies mèches dorées me fit vaciller. Mais oui ! Pourquoi pas ? J'étais loin, les codes esthétiques nord-américains m'apparaissaient follement exotiques et j'avais envie de tenter de nouvelles expériences. Je la suivis donc chez son coiffeur fétiche.
Une fois dans le salon, la tête recouverte d'une myriade de carrés de papier alu, je me trouvais vaine et totalement ridicule. Le champagne servi pour patienter et le babillage ampoulé des coiffeurs n'arrangeaient rien : je n'étais pas à ma place.
Trois heures plus tard, face à mes cheveux parsemés de fines mèches jaunes et bouclées au fer frisé, je me dis deux choses : que cette nouvelle coiffure avait tout de la perruque pour concours de mini miss, et que j'aurais dû écouter ma mère... Juin 2016
Après être revenus à Paris, puis partis vivre à Florence, nous voici de nouveau au Canada. Capillairement parlant, je n'ai rien fait depuis la naissance de Charles en 2013. Convaincue que n'importe quelle teinture sera toujours mieux que les multiples fils blancs qui strient désormais ma chevelure, je rentre dans le premier coiffeur venu (un salon coréen), demande une couleur correspondant exactement à ma teinte naturelle et les laisse s'exécuter. Deux heures plus tard, mes cheveux sont quasiment roux (j'apprendrai plus tard que cette teinte est particulièrement prisée chez les jeunes asiatiques). Je déteste. Je repasse au bac. Les choses s'améliorent… à peine.
Mais comment font toutes ces femmes qui affichent des cheveux colorés aux nuances naturelles ? Pourquoi cela ne fonctionne-t-il JAMAIS chez moi ? En dépit de cette nouvelle expérience désastreuse, je m'obstine et teste d'autres salons, d'autres coiffeurs. L'impression récurrente d'avoir un casque auburn sur la tête virant au rouge après 5 plongeons dans la piscine de notre immeuble finira cependant par me dissuader totalement d'avoir recours aux colorations. Février 2020
En observant la mousse de mon latte se diluer dans le café, j'ai une idée : et si je noyais mes cheveux blancs dans de très fines mèches plus claires, sans toucher à la couleur de base ? J'en parle à Julien, qui reste dubitatif. Je suis néanmoins persuadée que je tiens là quelque chose. Je lis toutes les critiques des coiffeurs du quartier et déniche une coloriste française dont on loue la subtilité. Nous discutons, elle comprend mon désir. Le résultat s'avère plus blond que ce que j'avais prévu, mais je me surprends à ne pas trouver cela rédhibitoire. De retour à la maison, Charles éclate en sanglots et me demande d'enlever la "peinture" que j'ai sur les cheveux. Je m'en moque : pour la première fois de ma vie, je n'ai pas envie de m'attacher les cheveux. Depuis, les balayages visant à gommer mes racines m'ont fait devenir de plus en plus blonde. Un blond ni Barbie, ni sexy, ni naturel, juste un blond "Lise". Un blond qui m'a permis de faire voler en éclat une vision réductrice de moi-même. Ces cheveux éclaircis sont ainsi devenus une composante à part entière de mon visage. Je les frictionne, les ébouriffe, n'hésite pas à les asperger de spray d'eau salée, à les enduire de mousse volumatrice. Je teste, je m'amuse. Ils sont désinvoltes, imprévisibles, abîmés mais lumineux, artificiels mais sauvages. Mes soeurs ne s'y sont toujours pas faites. Julien ne m'a jamais trouvé aussi belle. Maman ne fait pas de commentaires. Charles passe ses soirées à compter les nuances de couleurs de cheveux que j'ai sur la tête. Chacun a son avis sur la question… et je ne m'en suis jamais autant moqué. Un peu différente de celle qu'avait codé mon ADN, cette version de moi me galvanise. S'autoriser la lumière a décidément quelque chose de jouissif…
Par Lise Huret, le 04 mars 2022
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Etant châtain foncé de nature, je suis depuis toujours très jalouse des blondes... J'ai fait plus ou moins de mèches dans mes cheveux, de manière plus ou moins réussie. Aujourd'hui, j'apprécie l'éclat apporté par ma couleur actuel (des mèches, donc, mais pas métalliques). Cela évoluera sûrement au fil du temps.
En tout cas, Lise, j'aime beaucoup la couleur de cheveux que tu affiches dans tes vidéos!