Après deux ans passés dans la douceur rugueuse du Portugal, nous sommes plus séduits que jamais. Le temps passé au sein de notre petit village nous a en effet permis de dépasser la surface des choses pour nous ancrer plus profondément au sein de ce pays si authentique. Bilan - non exhaustif - de ces derniers mois en terre lusitanienne…
À force de les croiser lors de nos promenades, de les voir dès la fin du mois de mai se parer de fruits dodus ne demandant qu'à être cueillis et d'admirer leurs troncs clairs, leurs branches noueuses et leur feuillage ciselé, j'ai fini par nous offrir un bébé figuier. Wait and see ! Je suis toujours autant hypnotisée par le miroitement argenté des poissons qui sautent autour de moi lorsque je suis au large et que j'aperçois en transparence lorsqu'une vague se lève. Après être passés plus de 200 fois devant le portail en ferraille de l'étrange jardinerie située dans l'un des virages de la route menant à Colares, nous avons enfin décidé d'aller investiguer les lieux. Je n'ai jamais vu un tel endroit : de part et d'autre d'un chemin sinueux à flanc de colline s'étend un véritable éden végétal, à la fois sauvage et parfaitement agencé. Entre la vue à couper le souffle, la douceur ambiante et le ruissellement de l'eau émanant de diverses cascades, nous sommes ensorcelés. La rencontre avec les propriétaires achève de nous séduire. Portugais sexagénaires, ils se complètent à merveille : l'espièglerie chaleureuse de l'une mêlée au bon sens pince-sans-rire de l'autre (selon lui, "les plantes d'intérieur cela n'existe pas") s'avère irrésistible. Après quelques minutes de discussion lors desquels Charles peut à loisir caresser leurs deux vieux chiens et Julien évoquer avec eux leur vision du Portugal, ils me proposent généreusement d'exposer mes poteries…
Ici comme au Canada, je souris aux passants, salue les vieilles personnes et n'hésite pas à entamer la conversation lorsque cela s'y prête. Or, si à Toronto peu de gens y étaient réceptifs, au Portugal il en va tout autrement. Je ne compte en effet plus les interactions avec les dames âgées du village, avec les promeneurs sur les sentiers côtiers ou avec les clients de l'épicerie. Sans parler de cette récente et incroyable rencontre… Alors que nous sommes au parc avec Charles et l'une de ses amies, j'observe un monsieur d'environ 80 ans faire de l'exercice sur l'un des agrès de gymnastique mis à disposition du public. J'admire sa prestance et sa forme physique. Soudain, il s'interrompt, vient vers nous et nous complimente en anglais sur la complicité de nos enfants. La conversation s'engage. Après quelques minutes, il s'avère que cet élégant portugais est un descendant direct du maréchal Ney. Pour Julien et Charles (tous deux fascinés par l'épopée napoléonienne), cette rencontre fut aussi insolite qu'inoubliable ! Nourri par nos bons soins pendant 5 jours, le chien abandonné qui rôdait autour de chez nous (au point que nous commencions à penser à l'adopter), a fini par disparaître. Ce ne sera pas encore pour cette fois… Après avoir découvert tour à tour l'Alentejo, l'Algarve et la région de Porto, l'endroit où nous avons choisi de vivre reste à nos yeux le plus inspirant. Je ne me lasse toujours pas du vent tonitruant faisant danser nos eucalyptus. Peu importe si celui-ci a récemment endommagé notre toit ou s'il n'aime rien mieux que de décoiffer généreusement nos visiteurs : j'aime sa force, sa capacité à faire filer les nuages au ras de l'eau, sa manière de me couper le souffle, de me faire sentir à la fois fragile et vivante…
A la fin de l'une de nos séances de surf, notre professeur m'interpelle : "Tu sais que Charles comprend le portugais ?" - "Euh… je sais qu'il prend des cours à l'école, mais il ne veut jamais nous dire ce qu'il y apprend" - "Eh bien je peux te dire qu'il n'est pas mauvais. Je lui ai parlé en portugais pendant toute la session et il a tout compris. Il me répondait en anglais, mais il comprenait tout !". Quelle joie d'être témoin de la capacité de mon fils à intégrer facilement des choses qui en tant qu'adulte me semblent si compliquées… Le fait de vivre entourés de potagers luxuriants nous a donné envie de nous y mettre. Nous observons ainsi désormais avec délectation nos plants de pommes de terre grandir, les fanes de nos carottes s'épanouir et notre menthe se densifier… Porter mes chaussons fourrés pour aller faire les courses après une séance de surf ne me pose plus aucun problème. Après deux ans d'interactions pour le moins tumultueuses, ma relation à l'océan est enfin apaisée. Je ne ressens plus d'urgence : si auparavant j'allais dans l'eau quelle que soit ma condition physique, quelle que soit la météo et uniquement sur la plage la plus difficile du coin, j'ai appris à écouter aussi bien mon corps que les éléments. Ce n'est ainsi plus mon ego qui dicte le lieu où je surfe, mais la houle ; je jongle par ailleurs désormais entre bodyboard et surf sans me soucier du regard des autres. Pendant quelques mois, j'ai été tentée de me lier à la communauté d'expats lisboètes évoluant dans le milieu de la mode. Régulièrement contactée via Instagram par les protagonistes de cette joyeuse sphère (créatrices, artistes…), je me suis mentie un temps : je m'étais en effet persuadée que participer à des vernissages, aller siroter du champagne à tel ou tel événement branché ou encore aller déjeuner dans des lieux photogéniques ou sur le bateau d'untel boosterait ma vie.
Oui mais voilà, aussi adorables soient toutes ces filles bien lookées, elles n'en représentent pas moins l'une des raisons pour lesquelles j'ai quitté Paris. Entre looks Sézane, sacs griffés, QG food healthy chic, escapades à Comporta, retraite yoga pour happy few et appartements dignes d'apparaître sur The Socialite Family, les codes de l'intelligentsia fashion sont ici les mêmes qu'en France. Or, ces derniers ne m'ont jamais parlé et la patine portugaise n'y changera rien…
Par Lise Huret, le 15 avril 2022
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35 commentaires
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Ema •Il y a 2 ans
C'est merveilleux d'avoir trouvé son lieu et de vivre près de l'océan.
Et c'est rigolo d'arriver enfin à se dire qu'on est mal dans un milieu même si les gens eux-mêmes sont sympathiques.
La mode, c'est fantastique et débile à la fois !
J'ai exactement les mêmes chaussons!!! Et jusqu'ici je n'osais pas les mettre en dehors du confort de la maison mais... J'avoue qu'après les sessions de surf hivernales... Allez, la prochaine fois je les embarque, c'est trop tentant :)
Bon déjà moi aussi j'aime tes poteries Lise pour leur côté épuré qui m'apaise. J'ai quitté Paris il y a 5 ans car je sentais que cette ville entretenait ma maladie bipolaire. Vie à cent à l'heure, soirées alcoolisées, amis branchés qui aiment se montrent sur instagram pour être dans le coup. Bref après une année de dépression, des hospitalisations, il était temps que j'arrête mon état maniaque. Alors voilà moi aussi dans mon village angevin, je fais du sport pour calmer l'énergie négative que ma maladie provoque, je vais à la pêche..et oui ça n'est pas féminin mais compatible avec l'amour des fringues. J'aime ma campagne, mon chéri et tout ce qui calme en moi les vagues hautes ou basses. Merci de m'avoir lu et merci à Lise.
Je vous envie, je rêve d aller vivre la bas alors que mes parents ont fait le choix inverse, quitter leurs pays pour venir en France, c était il y a 50ans maintenant...saudade!
La plupart de mes amis ici en France sont portugais, j'adore leur joie de vivre et leurs valeurs. Je n'y suis allée qu'une fois et je compte bien y retourner. Je ne suis pas étonnée que toi sois tombée sous le charme.
C’ est incroyable ce sentiment de bien être que l’on ressent au Portugal. J’ ai adoré et j’ai regretté de ne pas m’y être installée. Quel douceur !
Pour la team Mode, j’ ai laissé filer ma carrière dans la Mode car être trop souvent la seule femme Noire de l’équipe ne me convient pas. Être stéréotypée ou le fameux « tu n’ es pas comme les autres. » et autres superficialités de certaines remarques provenant de fils ou filles à papa, ça fatigue... trop de charge mentale et pas assez de style à mon goût.
Quel bonheur de te lire Lise depuis toutes ces années ! Ça fait tant plaisir de te voir, toi et ta famille s’épanouir au Portugal. Hâte de lire tes prochaines histoires.
Merci Lise, c'est toujours un plaisir de te lire.
Bien que née et elevée en Espagne, malheureusement je connais pas du tout le Portugal.
En lisant la chronique j'ai cru comprendre que tu ne parles pas portugais, je me demandais...tu crois que ça changerait ton quotidien? Je me pose des questions sur le rôle de la langue dans nos interactions et rencontres.
Je le vois bien lorsque j'ose me lancer et prononce quelques phrases chez le poissonnier ou le fleuriste, le visage des gens s'illumine. Ils sont touchés que l'on fasse l'effort en tant qu'étrangers de parler leur langue. L'échange est beaucoup plus humain.
Cela me motive pour persévérer dans l'apprentissage du portugais, même si je suis vraiment mais vraiment pas douée ;/
Quel beau poste! Et quelle chance d’avoir trouvé l’endroit où tu te sens bien et en accord avec toi-même. Tes poteries sont géniales et ce serait super de voir plus de photos de ton jardin…
Bon week-end ;)
quelque chose me dit que la douceur rugueuse a quelque chose à voir avec les espaces situés entre Haute Loire et Lozère.... :-) La saudade de Langogne?:-)
Et c'est rigolo d'arriver enfin à se dire qu'on est mal dans un milieu même si les gens eux-mêmes sont sympathiques.
La mode, c'est fantastique et débile à la fois !