Exposer ou non ses enfants sur Instagram

Lancé en 2010, Instagram était au départ une plateforme permettant à ses utilisateurs de partager des moments de leur vie quotidienne, embellis par une gamme de filtres artistiques. Après plusieurs années, cette intimité originelle se mua progressivement en vitrine professionnelle dominée par les influenceurs.

C'est alors que les choses se complexifièrent. Les influenceuses continuèrent en effet à publier des contenus affichant une intimité comparable à celle que l'on retrouve dans les échanges authentiques du quotidien. Or, si ces jeunes femmes étaient généralement sans enfants à leurs débuts, elles ont, avec le temps, fondé des familles et intégré - pour certaines d'entre elles - celles-ci à leur stratégie de communication.

Cette évolution ne cesse de m'interroger. Afin de mieux comprendre ses implications, j'ai tenté de dresser une liste des avantages et des inconvénients associés à l'inclusion des enfants au sein des contenus partagés sur Instagram.

Points positifs

La photogénie des enfants permet de booster les "likes", autrement dit le taux d'engagement des followers.
La diffusion de scènes de vie familiales permet de créer une illusion de proximité entre le créateur de contenu et le follower, renforçant ainsi l'attachement de ce dernier à l'influenceur/influenceuse.
La mise en parallèle de la beauté d'un enfant avec celle de sa mère est une manière subtile de célébrer cette dernière (voir ici et là).
Les moments intimes tels que l'allaitement, les baignades, les promenades ou les lectures au lit ajoutent une touche personnelle et diversifient le contenu publié (voir ici).
Les marques apprécient les contenus mettant en valeur des familles (qui sont perçues comme authentiques et engageants - voir ici, ici et là), ce qui peut ouvrir des opportunités de partenariats commerciaux.

Points négatifs

Les enfants en bas âge ne sont pas en mesure de donner leur avis, ni de comprendre ce qu'implique le partage de leur image et de leur intimité avec des milliers de personnes (voir ici et là).
Des inconnus peuvent créer des liens avec l'enfant sans le connaître réellement, ce qui peut être déroutant, voire inapproprié.
La répétition des prises de vue afin d'obtenir "la bonne photo" peut entraîner un comportement dissociatif où l'enfant se sent obligé de poser plutôt que de se comporter naturellement. Mais aussi diminuer la spontanéité des interactions familiales et des moments de vie quotidienne.
La diffusion régulière de moments personnels peut réduire la notion d'intimité pour l'enfant, qui peut ne plus percevoir clairement la frontière entre ce qui est privé et ce qui est public (voir ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et là).
Une prise de conscience précoce de la validation externe (qui se matérialise notamment via les "likes") peut influencer négativement l'estime de soi de l'enfant et le rendre dépendant de l'approbation des autres (voir ici, ici et là).
Il arrive que les enfants soient utilisés dans des campagnes publicitaires ou des partenariats de marques dès leur plus jeune âge, ce qui soulève des questions éthiques sur l'exploitation commerciale de leur image. En ce qui me concerne, je n'ai pas toujours trouvé problématique l'exposition des enfants sur Instagram. Il y a encore quelques années, je n'hésitais ainsi pas à publier en Story des photographies de mon fils que je trouvais drôles, mignonnes ou touchantes. Plusieurs événements/réflexions m'ont cependant fait changer d'avis.

Un jour, alors que je faisais des recherches sur Internet, je suis tombée sur une photo de mon fils. Celle-ci avait été publiée plusieurs années auparavant au sein d'un article de Tendances de Mode. Voir son visage souriant au milieu d'une page froide me frappa comme une gifle. Il n'avait rien à faire là. Il n'avait rien demandé. Il n'avait pas à être exposé à des milliers d'inconnus entre une paire de chaussures, une photo de défilé et un gobelet Starbuck.

Peu de temps après notre arrivée au Portugal, une personne m'aborda alors que je jouais sur la plage avec Charles. Elle me suivait sur Instagram et s'adressa alors à Charles comme si elle le connaissait bien : "Oh, tu n'as pas ton petit foulard léopard aujourd'hui ?" (j'avais posté une photo de lui avec ce foulard quelques semaines auparavant). Après une courte discussion, elle poursuivit son chemin. Charles m'interrogea alors : "Mais maman, elle m'a déjà vu ? Je ne la connais pas". Il ne la connaissait pas, mais elle se sentait proche de lui, comme si elle était une connaissance ou une amie, ce qui n'avait aucun sens.

Un après-midi, alors que je cherchais des images pour nos Brèves, je tombai sur le compte d'une influenceuse qui postait régulièrement des photos d'elle avec ses enfants. Même si j'étais déjà allée plusieurs fois sur son compte, cette fois cela me dérangea. Je me vis en miroir et compris alors toutes les mauvaises raisons qui poussent à poster des photos de ses enfants lorsque l'on a un compte professionnel : ils deviennent des faire-valoir. Qu'on le reconnaisse ou non, c'est eux que l'on exploite, et cette exposition ne leur apporte rien, bien au contraire. Elle ne sert que l'image "médiatique" de leur mère.

C'est à ce moment que je décidai de ne plus montrer de photos de Charles… Quelques pistes de réflexion : 1 - 2 - 3 - 4