À vrai dire, il semblerait que le Kaiser aime laisser planer le mystère sur son personnage. Malgré un débit de parole impressionnant, il est finalement assez peu enclin aux confidences. Preuve en est, le doute laissé en suspens concernant sa date de naissance : personne ne sait s'il est né en septembre 1938 comme il l'affirme, ou cinq ans auparavant. La mère de Karl Otto Lagerfeldt aurait brûlé l'acte de naissance de ce dernier...
Toujours est-il qu'il naquit à Hambourg, d'un père scandinave, industriel de profession, et d'une mère allemande, mère qu'il décrit comme culottée, cocasse et légère, et dont il semble avoir hérité de son sens de la "non pesanteur". De cette période, on ne sait pas grand-chose, à part que Karl y aurait vécu une enfance gâtée. En 1952, à 19 ans à peine, il met les voiles pour Paris et change son nom, pour conquérir le milieu de la mode.
Lors du concours du "Secrétariat international de la laine" organisé par la marque Woolmark en 1953 (concours qu'il remporte ex-aequo avec un certain Yves Saint Laurent), il se fait remarquer par Pierre Balmain, et celui-ci l'embauche immédiatement en tant qu'assistant, poste qu'il occupera jusqu'en 1962. Mais c'est chez Jean Patou qu'il devient pour la première fois directeur artistique, en 1959.
Épris de liberté, il décide de demeurer en freelance, ce qui lui permet d'exercer un peu partout à travers le Monde : l'Italie et l'Angleterre deviennent ainsi des terres d'accueil pour lui, et il intègre coup sur coup les maisons Chloé - en 1963, pour les collections prêt-à-porter et accessoires - et Fendi - en 1964, pour la collection fourrure.
Mais c'est en 1983 que sa carrière prend un tournant décisif : il se voit proposer la direction artistique de Chanel, dont il prend les rênes des collections Haute Couture, prêt-à-porter et accessoires, et à qui il restera fidèle jusqu'à aujourd'hui. Fort sans doute de cette reconnaissance de son talent, il lance enfin sa propre marque de prêt-à-porter : "Karl Lagerfeld" voit le jour en 1984, et sa vocation sera d'exprimer le "sexy intellectuel". Elle sera suivie, en 2007, d'une deuxième ligne éponyme de monsieur Lagerfeld : "K par Karl", qui développe l'esprit denim chic dans des collections urbaines androgynes et beaucoup plus abordables.
Lagerfeld a d'ailleurs toujours pensé que l'avenir de la mode se situait dans le prêt-à-porter, et poursuit encore aujourd'hui un idéal de vestiaire accessible à tous, idéal qui le pousse par exemple à dessiner en 2004 une ligne de 30 pièces pour le géant de la grande distribution H&M.
Celui qui se définit comme une "dilettante professionnelle" use de son talent dans tous les domaines : en 1978, il crée le premier parfum à son nom : "Lagerfeld Classic", qui sera pendant de nombreuses années le masculin le plus vendu. Il est également passionné de photographies, si bien qu'en 1987, insatisfait des clichés qu'on lui propose pour un dossier de presse, il fait le shooting lui-même. Dès lors, c'est lui qui photographiera toutes les campagnes de Chanel. Il ouvre même en 1998 la Lagerfeld Gallery (qui réunit en un seul lieu les univers de la mode et de la photographie), suivie en 1999 par la librairie 7L et en 2000 par la maison d'édition du même nom.
Homme d'érudition, travailleur boulimique, il s'intéresse à tout et s'exprime par tous les biais : il est critique d'architecture, publie des livres d'Art et s'improvise même réalisateur de courts-métrages, comme celui qu'il dévoilera lors de la collection Paris-Moscou en 2008. Ces dernières années, il apparaît sur toutes les scènes : il est animateur de radio virtuel dans le jeu vidéo "Grand Theft Auto 4", pose pour une campagne de prévention routière, crée des ours en peluche à son effigie, habille Barbie pour son 50e anniversaire, donne sa voix à l'excentrique Fubu dans le dessin animé "Totally Spies" et sera même architecte d'intérieur de l'Isla Moda, à Dubaï, île dédiée au luxe et à la mode.
Il n'est donc pas surprenant que Vogue l'ait nommé "interprète sans pareil de l'air du temps", et qu'il soit peu à peu devenu une figure incontournable non seulement du milieu de la mode, mais tout simplement de notre quotidien.
C'est sans doute pour cette raison qu'il fut l'objet du documentaire "Lagerfeld Confidentiel", sélection officielle du Festival de Berlin en 2007, tandis que France 5 lui consacra un épisode de "Empreintes", reportage de 52 minutes, en octobre 2008. On y entre peu à peu dans l'intimité de ce personnage emblématique, pour découvrir qui se cache derrière les mimiques mondaines et l'allure collet monté. On y aperçoit un créateur plein de paradoxes : extravagant mais rigoureux, fantaisiste mais presque ascète, son franc-parler aux jugements implacables révèle cependant un homme plein de générosité et d'auto-dérision.
Mais le plus parlant à propos de Karl Lagerfeld - comme pour tout artiste - reste son oeuvre en elle-même : la mode qu'il laissera derrière lui. Il a en effet accompli au sein de Chanel un travail d'une telle qualité qu'il sut véritablement s'y rendre indispensable, à tel point que son nom est désormais indissociable de celui de la marque.
C'est enfin lui qui rendra les VIP inconditionnels de l'enseigne, et fidélisera des stars comme Diane Kruger ou Keira Knightley. Chaque saison nous révèle une nouvelle facette de son talent, qui réinterprète encore et encore l'esprit Chanel, en la modernisant sans la dénaturer...
Par Lise Huret, le 24 février 2007
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