Hubert de Givenchy aime raconter que tout petit, il était déjà fasciné par les étoffes, et adorait jouer avec les tissus qui débordaient des malles de sa mère. À l'âge de raison, alors que les petits garçons manient les crayons, afin de croquer la voiture paternelle ou les chevaux aperçus sur les champs de courses, Hubert, lui, croque des robes. En observant sa mère - qui était une femme de goût - et en feuilletant les magazines de gravures de mode de celle-ci, le garçonnet se familiarise avec les vêtements et découvre très vite que c'est un univers qui le passionne.
Il découvre ensuite le travail de Cristobal Balenciaga, et tombe en admiration devant la pureté architecturale des créations de ce dernier. Le jeune homme n'a alors plus qu'un but en tête : travailler auprès de son idole. Il a 17 ans lorsqu'il décide de quitter Beauvais afin de tenter de concrétiser son rêve. Cependant, une fois dans la capitale, les choses s'avèrent plus ardues qu'il ne le pensait et il ne peut rencontrer Balenciaga. Ce sera ainsi auprès de Jacques Fath qu'il fera son apprentissage, puis de Lucien Lelong.
Mais Hubert n'est pas à l'aise chez Lelong : trop de monde, trop d'ouvrières, le jeune homme se sent perdu. C'est en cherchant à changer de maison qu'il fera la rencontre d'Elsa Schiaparelli, auprès de laquelle il travaillera et trouvera, quelques années plus tard, la force de s'envoler de ses propres ailes.
À 24 ans, Hubert de Givenchy décide de tenter sa chance et de vendre ses créations à différentes boutiques. Il ne conçoit pas de collections, mais imagine des pièces séparées que les femmes pourront s'approprier en les associant selon leurs goûts, créant ainsi elles-mêmes leur silhouette. Ses modèles plaisent tant aux femmes de son entourage que ces dernières l'incitent fortement à imaginer une collection dans les règles de l'art. Les encouragements de la directrice du magazine Elle, Hélène Lazareff, finiront par le convaincre.
Deux ans plus tard, il lance sa ligne de prêt-à-porter de luxe : "Givenchy University". Il est alors le premier à entrer dans ce créneau. Ses collections savent toucher au plus près les femmes, car elles mixent luxe et décontraction, féminité et chic, sans être guindées. La mode Givenchy n'a donc aucun mal à descendre dans la rue, et connaît vite le succès. L'engouement qu'il suscite est international : si Elle plébiscite régulièrement ses looks, en 1953 l'une de ses créations fait la une du magazine américain Life. Le génie d'Hubert de Givenchy est d'être juste une seconde en avance sur son temps : il devance les envies de ses clients et parvient, à coup d'idées innovantes, à les surprendre tout en les séduisant.
Si son travail rencontre déjà le succès, ce n'est rien par rapport à celui que va susciter l'association d'Audrey Hepburn à la marque. En 1953, le couturier et l'actrice se rencontrent sur un malentendu et ne se quitteront plus. Givenchy l'habillera sur tous ses films et peaufinera le style naissant d'Audrey pour en faire une véritable icône. Leurs deux images seront alors éternellement entremêlées. Il dira qu'Audrey et Balenciaga furent les deux personnes qui ont changé sa vie. En effet, le temps où le couturier espagnol ne désirait pas recevoir le jeune provincial est bien révolu : depuis, le hasard les a réunis, et une amitié faite de respect et d'admiration mutuelle les unit.
Alors que Lanvin et Chanel possèdent leur propre jus, Hubert de Givenchy, qui a toujours jugé que le parfum était le prolongement du style, se lance à son tour dans le domaine. En 1957, il commence modestement dans un appartement prêté par Cristobal Balenciaga. Trois nez sont recrutés, et ont pour mission de mettre au point non pas un, mais deux parfums, de manière à ne pas tout miser sur un seul produit.
Le premier se nommera "de" en référence à la particule de Givenchy, tandis que le deuxième sera nommé "L'interdit", en référence au sentiment d'envie qui nous saisit lorsque quelque chose nous est interdit… Le second jus est dédié à Audrey Hepburn qui, en acceptant de poser pour la campagne publicitaire, deviendra la première star associée à un parfum. Le choix d'une égérie américaine électrise la clientèle outre-Atlantique, et Givenchy devient leur couturier fétiche, réalisant la quasi-totalité de ses ventes à l'étranger.
Hubert de Givenchy devient ce que Karl Lagerfeld est à notre époque : un couturier superstar. Il est médiatisé, et par la même occasion immortalisé par les photographies d'Irving Penn et d'Avedon. L'élégance qu'il incarne sera la meilleure publicité qu'il pourra donner à sa ligne homme qu'il lance en 1973 sous l'appellation "Gentleman Givenchy". En 1978, il est récompensé par ses pairs en obtenant le dé d'or. En 1988, alors que la maison Givenchy est membre de la chambre syndicale de la Haute Couture et du Prêt-à-Porter, que les collections du couturier n'ont jamais failli à leur réputation, faite de sensualité, de raffinement et de modernité, Hubert de Givenchy, ainsi que Les Parfums Givenchy, se laissent racheter par LVMH.
En 1995, après plus de quarante ans de présence à la tête de sa maison, Hubert de Givenchy tire sa révérence. Certains le disent lassé de ce que la mode est devenue, tandis que d'autres évoquent des mésententes avec LVMH. Il se peut également que le couturier ait désiré se retirer de l'agitation liée au monde de la mode, afin de se consacrer à d'autres passions, comme celle qu'il voue aux antiquités. Celui qui habilla Jacky Kennedy, Grace Kelly et bien d'autres élégantes de la seconde partie du 20e siècle s'en va, mais sa maison reste. Dès lors, de jeunes designers talentueux vont se succéder aux manettes de la direction artistique de la maison : John Galliano, Alexander McQueen et Julien MacDonald seront de ceux-là.
Cependant, si leur travail ne dénature pas l'esprit de la maison, ce n'est véritablement qu'avec l'arrivée du styliste Riccardo Tisci - en 2005 - que Givenchy Couture va retrouver un nouveau souffle. Le styliste parvient à apposer à la maison sa propre patte, tout en restant dans l'esprit d'innovation élégante chère à Hubert de Givenchy. Ses défilés haute couture sont majestueux, tandis que son prêt-à-porter se distingue par sa précision, son sens du détail, son colorama empreint de sobriété. Tisci parvient, tout en donnant une impression de discipline nette à ses créations, à faire éclore une certaine fantaisie, toujours maîtrisée, avec talent et modernité. Le styliste oeuvre au sein de la maison Givenchy depuis bientôt 4 ans, et son travail semble plus que jamais satisfaire les observateurs d'LVMH. Pas de turn over à l'horizon…
En 2008, Givenchy est une figure reconnue dans le monde des cosmétiques de luxe. Ses parfums, de Tartine et Chocolat à Isatis en passant par Organza, sont tous des best-sellers. Et depuis que Tisci est à l'oeuvre, chacun des défilés de la maison est un moment fort de la semaine de la mode. Givenchy affiche donc une santé florissante, due à un savant mix entre tradition et avant-gardisme, basée sur une couture d'exception emprunte de modernité et un secteur cosmétique innovant et de qualité, le tout en réinterprétant encore et toujours la notion de luxe avec décontraction…
Par Lise Huret, le 15 janvier 2008
Suivez-nous sur , et