Campagne Gucci P/E 2018 ou la fantaisie anachronique
À l'heure où Demna Gvasalia propose chez Balenciaga une campagne publicitaire aux allures de portrait de famille de série B aussi inspirant que l'arrière-boutique d'un vendeur d'aspirateurs, Alessandro Michele nous livre quant à lui une campagne onirique où les pigments remplacent les pixels si chers à notre époque…
À en croire la monotonie des campagnes publicitaires fleurissant chaque saison au sein des pages des magazines, il semble que créer des visuels forts, cohérents et originaux permettant à l'objet de ladite campagne - ici des vêtements et accessoires - de s'inscrire dans un univers dépassant son aspect intrinsèquement mercantile soit une tâche particulièrement ardue.C'est pourtant ce qu'est parvenu à réaliser cette saison Alessandro Michele en donnant carte blanche à l'illustrateur espagnol Ignasi Monreal. En prenant le contrepied de la galaxie "tout photo/vidéo" qu'est devenue notre réalité perfusée aux vitamines Instagram/Snapchat, la poule aux oeufs d'or de Kering continue en effet d'enrichir l'histoire qu'il tisse depuis ses débuts chez Gucci et nous prouve que filer sa mythologie personnelle telle une métaphore sans fin peut porter de bien jolis fruits.
Il est vrai que sous le trait fédérateur de celui qui enchaîne dernièrement les collaborations avec la griffe italienne naissent des scènes aux références kaléidoscopiques qui ne peuvent que faire pétiller les neurones de celles et ceux qui s'attardent à les contempler. Difficile ainsi de résister à l'incohérence joyeuse générée par ces multiples détails totalement anachroniques venant bousculer références artistiques et historiques. On pense notamment aux trois Grâces de Botticelli se voyant apposer un dress code néo-street, aux amies sirènes de Peter Pan, alanguies, observant sur leur smartphone la progression de leur nombre de followers ou encore aux Époux Arnolfini de Jan Van Eyck se retrouvant transposés dans un décor inspiré de l'oeuvre de Jérôme Bosch.
Sans oublier Ophélie se mourant en sequins disco, la mise en abîme de Blanche Neige via un sweat cartoon, les angelots s'échappant du plafond de la Chapelle Sixtine afin de délivrer un Post-it urgent, la version XVe siècle du selfie ou encore l'élégante décomptant sur le velours du canapé de son hôte les heures passées à écouter les récits soporifiques des pique-assiettes gravitant autour d'elle... Gourmands à souhait et suggérant mille et une historiettes, ces tableaux repositionnent par ailleurs le vêtement à sa juste place, à savoir celle d'inspirant compagnon d'aventure et non de produit must have conditionnant le statut de celle le portant.
Au final, devant cet opus publicitaire exaltant l'esthétique maniaco-créative d'Alessandro Michele, on ne peut que se réjouir du refus de celui-ci de se conformer au rythme des tendances, le créateur préférant élaborer au long cours un récit aussi minutieux qu'indépendant. Les cadavres exquis de cet enfant surdoué font décidément beaucoup de bien à la mode…
Voir tous les visuels de la campagne : http://www.dazeddigital.com/gucci-ss18-campaign
Par Lise Huret, le 03 janvier 2018
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