Week diary #69
Au menu de ces derniers jours : incursion en maternelle, traversée des eaux, insomnie créative, questionnement spirituel, déluge ludique, découverte artistique et influence insoupçonnée…
Jeudi
J'avance dans le couloir désert menant à la classe de Charles. Une de ses maîtresses m'attend à la porte de celle-ci et me fait signe de ne pas faire de bruit. Je suis ici en tant que "Mystery Reader", à savoir un parent missionné en secret pour venir raconter à la classe le livre préféré de sa progéniture. Je pénètre silencieusement dans la pièce, les enfants ont la tête cachée dans leurs mains. Je commence à lire : "If you happen to have a dinosaur...". "Maman !". Au son de ma voix, Charles a relevé brusquement la tête, le visage radieux : c'est enfin à son tour de voir sa maman jouer les conteurs d'un jour.
30 minutes plus tard, je repars riche des échanges avec ces petites têtes blondes, brunes et rousses de presque 6 ans, fière d'avoir réussi à me faire comprendre en dépit de mon (terrible) accent français…
Dimanche
10h - Une éclaircie dans le ciel nuageux de ce matin de mai nous donne envie d'aller pique-niquer sur Toronto Islands. Nous avons tellement besoin de prendre l'air après cet interminable hiver que nous occultons les rafales de vent à 34 km/h qui ne manqueront pas de nous glacer sur le ferry et la possibilité que l'île soit partiellement inondée suite aux pluies diluviennes ayant récemment touché la région.
11h30 - Nous accostons. Les rangées de sacs de sable protégeant les berges ne sont pas parvenues à endiguer l'eau, si bien que les pelouses d'ordinaire verdoyantes ont des allures de marécages. Qu'à cela ne tienne, le chemin nous menant au loueur de voitures à pédales est sec. Une fois perchés sur notre destrier touristique, nous suivons une route goudronnée qui s'avère régulièrement noyée sous des flaques immenses de plusieurs dizaines de mètres de longueur. La profondeur de ces dernières étant variable, nous nous causons quelques joyeuses frayeurs... pour le plus grand plaisir de Charles. Entre nos pieds trempés, les exclamations faussement horrifiées de notre petit passager et les échanges de regards amusés avec les autres promeneurs téméraires, nos fous rires se font chroniques. Rien de tel qu'un peu d'imprévu pour transformer une balade banale en moment mémorable !
Mardi
2h - Dans la semi-pénombre du salon, une tasse d'infusion à l'hibiscus entre les mains, j'essaie d'endiguer l'angoisse rampante allant de pair avec l'insomnie. Je n'ai pas envie de travailler, ni de répondre à mes emails : le temps distendu de la nuit ne se prête pas aux tâches studieuses. Je laisse mon esprit voguer, tandis que mes yeux suivent les minuscules phares des voitures évoluant sur la chaussée en contrebas. Soudain, mon regard heurte la miniature cabossée évoquant la maison de mon enfance qui siège devant la fenêtre. Réalisée en argile puis partiellement détruite, cette dernière a servi de catharsis à la tristesse que sa perte génère encore en moi. Alors que j'observe cette silhouette fantomatique, le besoin de créer me saisit violemment. Cela se passe toujours ainsi : je ne ressens aucune vibration créatrice pendant des semaines, puis tout à coup une envie irrépressible de dénicher une idée/un projet surgit en moi. Pourquoi pas un gratte-ciel à demi dévoré par une bulle immense ? À suivre…
Vendredi
21h - Le curry de poisson terminé, le dos relâché dans nos chaises au dossier en cuir incurvé (notre meilleur achat de ces dix dernières années), une canette de cidre frais à portée de main, nous écoutons une amie nous parler de son rapport à la spiritualité. Mi-ange de douceur, mi-sorcière moderne, cette jeune femme est la première personne qui pourrait me faire revoir ma vision de la religion, tant je la sens vraie et absolument pas en quête de sensationnel. Moi qui ai toujours rejeté le concept de la réincarnation et qui n'ai jamais voulu remettre en cause la nature du paradis évoqué dans la Bible, j'en viens à me poser mille questions. Des questions qui me donnent parfois l'impression de trahir la foi profonde que j'ai en Dieu. Et en même temps, cette notion d'âme s'incarnant perpétuellement fait sens…
Dimanche
17h - L'orage menace. Si l'on en croit la météo, il devrait être sur nous dans 45 minutes. Autrement dit, nous avons tout juste le temps d'aller faire de rapides courses alimentaires. 25 minutes plus tard (Charles a marché moins vite que prévu), je suis en train d'examiner la composition d'une confiture à l'abricot lorsqu'un coup de tonnerre magistral nous fait sursauter. L'orage est en avance. Nous filons à la caisse. Une fois dans la rue, les premières gouttes commencent à s'écraser sur le trottoir. Le vent se lève, la nuit tombe précocement… Julien avise une bouche de métro et nous lance : "Vite, on rentre !". J'échange alors un regard avec Charles : braver les éléments nous tenterait bien... Déjà à moitié trempé, Julien n'insiste pas : "Ok, on se retrouve à l'appart !" et il disparaît.
Commence alors une remontée épique vers Bloor Street. Les caniveaux se muent en torrents, les éclairs cisaillent le ciel, le vent plaque la pluie sur nos visages et je n'ai jamais vu Charles aussi lumineux. Les gens affolés courent et s'abritent là où ils peuvent. De notre côté, nous savourons chaque seconde de ce film d'aventure au sein duquel nous nous sommes propulsés. Totalement trempés, nous sourions et sautons au-dessus de l'eau en nous imaginant moult scénarios : "Maman, on est des militaires américains traversant la forêt tropicale !". Charles, qui ne supporte d'ordinaire pas que son tee-shirt soit mouillé ne serait-ce que d'une goutte d'eau et qui rechigne dès que l'on marche un peu trop longtemps m'étonne au delà des mots. Je ne reconnais pas ce petit aventurier que rien n'arrête. Nous apercevons notre immeuble : plus quelques mètres et nous aurons réussi. Et Charles de me lancer, les yeux brillants d'excitation : "Papa ne va jamais croire que l'on a survécu !".
Lundi
15h - Entre deux rendez-vous en ville, je passe par Ie rayon "livres d'art" du magasin Indigo. Disposée sur une longue table, une large sélection de "coffee table books" dédiés à la photographie, à l'architecte et à la peinture invite à la flânerie culturelle. Soudain, le tracé de 4 arbres illustrant une double page d'un ouvrage ouvert en son milieu m'interpelle. Le trait m'est familier, mais je ne l'ai jamais vu utilisé en dehors des courbes accidentées des corps dessinés par Egon Schiele. Je me saisis du livre et découvre avec fascination tout un volet de l'oeuvre de Schiele (car il s'agit bien de lui). Appliqué à l'univers du paysage, son langage pictural gagne en subtilité. L'arbre se fait aussi mélancolique et torturé que le corps, mais sans la dimension scandaleuse de ce dernier…
Mardi
8h - Pour la première fois depuis octobre dernier, la météo me permet de déposer Charles sur la pelouse de son école. Sur le gazon s'ébattent des dizaines d'enfants sous l'oeil mi-amusé, mi-attentif des maîtresses sirotant leur latte de chez Starbucks. Celle de Charles s'avance alors vers moi souriante en me montrant ostensiblement son jean flare 7/8. Je souris, légèrement surprise. "Look, I bought the pants I saw on your website !" . Et moi de lui répondre : "Oh, it fits you perfectly !". Ainsi donc l'institutrice de Charles lirait Tendances de mode ?
Par Lise Huret, le 07 juin 2019
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Ca vaut de l'or cette capacité a se faire du film( si je peux dire)
Avec mon père je partais en montagne, j avais une impression d aventure pour des riens(marmotte qui siffle, terrain pentu ou autre...)a chaque fois.
A la fois la simplicité et la complexité de la construction de l 'enfant
Sans connaitre ta petite famille, ca m ' a l air bien joli tout ca!