Week diary #70
Au menu de ces derniers jours : déchaînement céleste, évasion contrôlée, rituel avorté, sandwich conflictuel, déception littéraire, projet bostonien et attente 3.0…
Mardi
21h30 - Dans la pénombre du salon faiblement éclairé, un flash me fait relever la tête de mon écran d'ordinateur. Je scrute le ciel afin de déterminer s'il s'agit d'un feu d'artifice, d'un avion passant à basse altitude ou d'un faisceau lumineux quelconque… Un autre flash ! Cette fois-ci je n'ai rien raté de l'action : au loin, un éclair magistral vient de fendre le ciel. Un autre. Épais, accidentés et étincelants, ces derniers se succèdent à intervalles réguliers. J'appelle Julien et vais réveiller Charles. Nous voici tous les trois sur le balcon à admirer un spectacle digne du plus photogénique des films apocalyptiques. Charles est subjugué. Nous aussi.
Mercredi
7h - Le réveil a beau avoir sonné il y a quinze minutes déjà, je reste immobile sous ma couette. Je sais que dès que j'aurai posé le pied par terre, la nouvelle année scolaire commencera avec ses petits déjeuners expédiés, ses week-ends trop courts, ses lundis interminables, ses activités périscolaires chronophages, ses "playdates" mi-figue mi-raisin, ses embrassades faussement chaleureuses avec les mères d'élèves et ses cavalcades sur le trottoir pour essayer de récupérer les minutes perdues en attendant l'ascenseur surbooké… Allez, je garde encore les paupières fermées une minute. "Maman ? Maman ! Je vais à l'école aujourd'hui !". Ok, c'est parti...
10h30 - Après 20 minutes de métro, j'entame les 3 km qui me séparent du studio de poterie où je prendrai à 11h mon premier cours. J'ai tellement hâte ! Depuis que je suis rentrée de Lozère, tourner m'obsède. Sur mon fils Instagram, les potiers ont en partie remplacé les fashionistas. Je les regarde façonner l'argile avec envie. Autant dire que c'est les doigts fourmillant d'excitation que je pousse la porte du studio.
Si les tours sont là, parfaitement alignés contre le mur, les élèves du cours sont quant à elles attablées à un large plan de travail. Je prends place à leurs côtés. La professeure, une Mexicaine tatouée à l'anglais chantant, nous demande de nous présenter. Après un rapide tour de table, je comprends que mes 5 codisciples sont des ménagères SP++ cherchant à "faire quelque chose de créatif". Pour cette première séance, on nous propose de nous familiariser avec la matière en faisant du "handbuilding". Je sens une suée froide glisser le long de mon dos. Hors de question de passer les trois prochaines heures à faire des mugs esprit "cadeau de fête des Mères "... "Puis-je utiliser un tour ? J'ai déjà tourné, je peux me débrouiller seule". Je l'avais d'ailleurs indiqué clairement dans mon formulaire d'inscription. "Non, les tours sont pour les niveau 2". Je ne sais que répondre. Je n'ai aucune envie de paraître prétentieuse en dénigrant ce qui semble enchanter les membres de la classe ; pour autant, je n'ai pas payé pour retourner au stade "activité manuelle grande section"...
Totalement dépitée, je fixe mon bloc de glaise. Autour de moi, les mains s'affairent, les rouleaux à pâtisserie aplatissent, les emporte-pièces coupent, les yeux brillent, la barbotine rentre en action. Je saisis un peu de terre, la roulotte, ébauche un mug lilliputien et l'écrase. Le ridicule de la situation me vrille les tempes.
11h45 - Mon cerveau passe en mode "extraction" : il faut que je sorte d'ici au plus vite. Rapidement, les options défilent dans ma tête. Me couper avec l'un des scalpels mis à notre disposition ? Trop douloureux. Déclencher par inadvertance l'alarme incendie ? Trop bruyant (j'ai la migraine). Demander à mon ange gardien de me donner le don d'ubiquité ? Trop hasardeux. Faire semblant d'aller chercher un café et ne jamais revenir ? Pas mal... Ce sera néanmoins le faux coup de fil en provenance de l'école de mon fils qui remportera finalement mon suffrage.
11h50 - Je suis dehors. Un fou rire nerveux me secoue le corps. Entre la frustration de ne pas avoir pu tourner, l'angoisse de m'être sentie complètement coincée et la rage de ne pas avoir su m'imposer, je me sens vidée. Précisément l'inverse de ce que j'attendais de cette parenthèse...
Jeudi
8h - Tout fringant dans son uniforme scolaire flambant neuf, Charles zigzague entre les passants pressés. Comment avons-nous pu attendre si longtemps avant de lui offrir une trottinette ? Depuis que nous l'avons "motorisé", celui qui ne pouvait pas entendre la première syllabe du mot "promenade" sans être soudain atteint d'un mal de ventre carabiné ne cesse de nous supplier d'aller sillonner les trottoirs de la ville...
11h - Pause thé. Une tasse de Earl Grey fumante entre les mains, Julien m'informe que l'on est en rupture de beurre et que Jean-Pierre Mocky est mort cet été. Les associations d'idées de mon mari me surprendront toujours... En hommage à l'homme de cinéma, je regarde quelques-unes de ses dernières interviews. Outre sa coiffure qui pourrait bien devenir mon étalon capillaire, je suis sous le charme de ce vieux monsieur hermétique au politiquement correct et dont la fraîcheur gouailleuse apparaît si exotique dans le paysage actuel.
19h50 - L'heure du "Eight O'Clock Project" se rapproche. Initié sous l'impulsion de Géraldine, ce concept consistant à poster tous les jours sur Instagram une photo de l'endroit où l'on se trouve à une heure donnée m'a tout d'abord enchantée. Il allait en effet me permettre de faire de ce réseau social le support d'une démarche si ce n'est artistique, tout du moins rituelle, ce qui ravissait l'admiratrice de Sophie Calle que je suis. Oui mais voilà, après quelques posts, je réalise qu'à 20h je suis le plus souvent en train de raconter une histoire à Charles, mais aussi que je pense beaucoup trop dans la journée à mon post de la soirée. Bref, j'ai raté un soir, puis deux… et j'ai perdu le fil. Pour autant, je ne perçois pas cette expérience comme un échec, celle-ci m'ayant permis d'entrevoir la possibilité de faire de ce média la cimaise de mes envies/pensées/réflexions du moment. Ce que je ne m'autorisais pas auparavant.
Vendredi
11h - Sur le trottoir longeant notre immeuble, je croise une interminable file d'attente : un "Chick-fil-A" vient d'ouvrir. Or, à en croire le spectacle se déroulant devant mes yeux, force est de constater que l'arrivée en ville de cette enseigne adulée par les Américains divise les Torontois. Entre la centaine de gourmands attendant docilement de pouvoir croquer dans leur sandwich au poulet et les manifestants vegan et anti-homophobie alpaguant les passants, le contraste est saisissant (voir ici et là). Le "chicken sandwich", nouvelle pomme de discorde ?
23h - Je referme déçue "Kaiser Karl" de Raphaëlle Bacqué. Je n'y ai rien lu - à part quelques détails sur la mère du couturier - que je ne savais pas déjà. La journaliste s'attarde sur un passé maintes fois évoqué, sur des anecdotes connues et effleure à peine les 10 dernières années de règne de Karl Lagerfeld. Dommage : c'est justement cette partie - dont on ne sait finalement pas grand-chose - qui m'intéressait.
Dimanche
15h - Alors que Charles batifole dans l'eau glacée du lac Ontario, nous dressons avec Julien la liste de nos envies de voyage avant notre départ définitif du Canada. Le calendrier des vacances scolaires nous offre trois fenêtres. Après avoir jeté un oeil sur Google Map, nous décidons d'essayer de trouver un chalet au sein de la Péninsule-Bruce pour les micro vacances (4 jours) du mois de novembre. De leur côté, les congés de Noël pourraient bien être le théâtre du remake de notre road trip vers Chicago de l'hiver 2017, mais cette fois-ci vers Boston. Il ne nous reste plus qu'à déterminer la nature de notre dernière escapade lors du "march break". Arpenter l'Utah en camping-car ? Découvrir Los Angeles ? Trouver un endroit où Charles pourra découvrir les joies du snorkeling ? Cette conversation me semble surréaliste tant elle colle à mes rêves…
Lundi
8h50 - Perdue dans mes pensées, j'attends l'ouverture d'Indigo. Je ne suis pas la seule : autour de moi se trouve une dizaine de personnes. Hypnotisées par l'écran de leur smartphone, elles semblent toutes lovées dans une bulle invisible, mais néanmoins tangible. Aucun contact visuel n'est établi avec ceux qui les entourent. Aucune interaction. Si j'avais été placée ado dans une situation similaire, j'aurais sûrement - afin de tromper l'ennui - demandé du feu au jeune barbu au jean roulotté et à la chemise de bûcheron se trouvant non loin de moi et entamé la conversation en fumant une cigarette. Aujourd'hui, pour pallier le stress d'être seul, l'inaction liée à l'attente, l'insupportable sensation de "perdre" du temps, chacun s'abîme dans son petit univers virtuel. Une attitude certainement moins dangereuse pour les poumons que la nicotine, mais pas forcément moins toxique pour la santé mentale…
Par Lise Huret, le 10 septembre 2019
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Bon, sinon, pour vos vacances, si le March break est début mars et qu'il ne fait pas encore trop chaud, je ne saurais trop conseiller l'expérience "snorkeling avec les lamantins" en rivière en Floride (google Crystal River)