1968 : la révolution étudiante voit le jour en mai, et Hedi en juin. La famille Slimane vit modestement à Bagneux, Monsieur est un comptable d'origine tunisienne, tandis que Madame vient d'Italie. Elle est couturière, et il est probable que ce soit elle qui apprit à son fils les rudiments de son métier. Ainsi, dès son adolescence, le jeune Hedi confectionne ses propres vêtements, car la carrure des habits en magasin est trop large pour sa fine silhouette.
Même s'il prend beaucoup de plaisir à ces travaux de couture, son esprit vif et son intérêt pour le monde qui l'entoure le poussent vers une carrière journalistique. Il ne suivra donc aucune formation de design, ce qui lui permettra plus tard de créer en toute liberté, sans se laisser influencer par les diktats esthétiques. Direction Hypokhâgne donc, où il prépare son entrée à l'institut d'Études Politiques de Paris.
Puis il modifie sa trajectoire, et intègre l'école d'Histoire de l'Art du Louvre. Là-bas, il redécouvre sa passion pour la création et pour les tissus. De plus, il y fait de nombreuses rencontres qui convergent toutes vers le monde de la mode. C'est pourquoi en 1992, ayant compris qu'il ferait de cet univers le sien, il devient assistant de Jean-Paul Picart, attaché de presse de renom et associé fondateur de la maison Lacroix. Pendant 5 ans, à ses côtés, il occupe différents postes en coulisse, notamment sur le projet de centenaire de la toile monogramme de Louis Vuitton.
C'est donc en 1997 que tout chavire, lors de son arrivée quelque peu inattendue à la direction de la ligne de prêt-à-porter masculin d'Yves Saint Laurent. Un tel choix de la part de Pierre Bergé attise les curiosités, et tous les yeux se tournent vers la nouvelle recrue : Slimane est attendu au tournant de sa première collection. Celle-ci sonnera les trompettes de la victoire pour notre jeune styliste, qui réussit en un tour de main à conquérir tous les coeurs. Rive Gauche reprend des couleurs pleines d'énergie glamour, et le public tombe amoureux de l'univers dandy moderne du créateur.
Cependant, en mars 2000, lorsque le groupe Gucci rachète Yves Saint Laurent, Hedi Slimane quitte la maison. Peut-être a-t-il peur de perdre une liberté de création si chère à ses yeux ? Toujours est-il que deux saisons plus tard, les nouveaux inconditionnels du styliste apprennent avec bonheur la nomination de celui-ci à la direction de la création pour hommes chez Christian Dior.
Là encore, le défi est de taille pour Slimane, car jusqu'ici l'enseigne n'avait pas de ligne Hommes, et il doit déterminer quelle sera l'image de Dior au masculin. Il installe donc l'atelier de travail rue François Ier, et s'entoure de personnes de confiance.
Son premier opus Dior sera un véritable bijou : il y présente des silhouettes subversives, dans des smokings en cuir brutalement perforé, où se mélangent influences rock et traditions Haute Couture. Peu à peu, l'esthétique Slimane se précise, et il invente pour Dior une nouvelle vision de l'élégance masculine.
L'Homme y est redéfini en profondeur, sorte de héros romantique, élégant mais un peu sulfureux. Ses silhouettes sont longilignes, à la fois sensuelles et asexuées. Ce côté androgyne plaît beaucoup aux femmes, qui raffolent du nouvel homme créé par Slimane, et n'hésitent pas à s'approprier son vestiaire.
D'ailleurs, l'envie de dessiner pour les femmes devient de plus en plus forte chez notre créateur, et en juillet 2007, il ne renouvelle pas son contrat avec Dior Homme. Pour le persuader de rester, la maison lui propose de financer sa propre griffe, mais il refuse, pour pouvoir garder le contrôle de son nom. Fort de cette liberté d'action, il débute une nouvelle ère. Slimane lance donc sa propre griffe, qui proposera un vestiaire aussi masculin que féminin. Ses collections sophistiquées en noir et blanc deviennent rapidement une référence en terme de couture de luxe.
Mais sa créativité bouillonne, et aspire à s'exprimer à travers d'autres biais. Il avait déjà été architecte pour les boutiques Dior, et le voici désormais photographe. Passionné de rock, il avait publié en 2004 « Stage », un recueil de clichés de différents groupes de musique underground, et en 2007, il va jusqu'à organiser l'événement « Young American », dont le but est de présenter en un même lieu l'ensemble de la jeune scène artistique new-yorkaise.
Il crée également pour le groupe de musique électronique Daft Punk les costumes de robot arborés lors de leurs apparitions publiques, et effectue un shooting de la chanteuse Courtney Love, intitulé « Courtney Love by Hedi Slimane : portrait of a Performer ». Il présente en 2008 en Espagne « Perfect Stranger », exposition qui relate l'univers du festival de rock de Benicassim.
Aujourd'hui, on peut retrouver son oeuvre photographique sur le site « Hedi Slimane Diary », qui mettait récemment en scène Lindsay Lohan. Certaines enseignes lui confient même le shooting de leur campagne, comme c'est le cas de Prada, avec qui il collabore pour la collection Homme printemps-été 2009.
Hedi Slimane n'a donc pas fini de nous étonner, incarnant dans son vestiaire comme sur ses photographies une philosophie élitaire, puritaine de l'élégance, assoiffée de perfection.
Par Lise Huret, le 15 février 2007
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