Jeff Koons x Louis Vuitton ou le mauvais goût assumé
À l'heure où le fait de "créer le buzz" semble être devenu vital pour les griffes souhaitant exister sur la scène fashion, Louis Vuitton a choisi de confier le cuir de ses produits phares à l'un des artistes les plus clivants du moment : Jeff Koons...
Si lors de leurs collaborations avec Louis Vuitton, Takashi Murakami et Stephen Sprouse avaient dû respecter un lourd cahier des charges, Jeff Koons peut quant à lui se targuer d'avoir eu carte blanche pour faire ce que bon lui semblait des Speedy et autres sacs Montaigne de la griffe.Un pari risqué pour la maison parisienne ? Pas vraiment. Car si le plasticien égocentré à l'esthétique pop art génère régulièrement la controverse, il n'en reste pas moins l'un des artistes vivants les plus connus, les plus populaires et les plus reconnaissables ; sans parler de sa capacité à déplacer les foules à chacune de ses expositions. Autrement dit, quel qu'aurait été le résultat de cette collaboration, nul doute que les ventes des produits monogrammés se seraient vus fortement boostés.
Dans les faits, Jeff Koons s'est emparé avec gourmandise de cette totale liberté qui lui a été accordée et en a profité pour bousculer le sacro-saint monogramme LV en en créant une version se basant sur ses propres initiales (mégalomanie quand tu nous tiens...). Il a ensuite choisi de décliner sur la maroquinerie de la griffe sa série "Gazing Ball" reprenant des toiles de maître (voir ici et là). C'est ainsi que cinq tableaux iconiques se virent imprimés sur différents modèles de sacs Louis Vuitton.
Les points positifs
Jusqu'ici cantonnées aux ambiances feutrées des musées, ces cinq toiles ne tarderont pas à descendre dans la rue, dans les magazines, sur les affiches des abribus. De quoi amener un certain nombre de personnes à se (ré)intéresser à ces oeuvres.
Délibérement kitsch, le fruit de la collaboration entre l'artiste et la maison de luxe affiche un mauvais goût ironique qui s'inscrit parfaitement dans l'air du temps, à l'heure où les créations disgracieuses de Demna Gvasalia donnent le La en matière de tendances.
Les fashionistas qui s'offriront l'un de ces sacs pourront prendre connaissance de la biographie des deux artistes - Koons et l'auteur de la peinture - gravée au fer à l'intérieur du sac, et ainsi peaufiner leur culture générale de manière ludique. On note cependant qu'aller surfer quelques minutes sur Wikipédia est certes moins sexy, mais tout aussi efficace… et surtout moins onéreux.
Si les sacs de cette édition prennent autant de valeur que les oeuvres de Jeff Koons, en acquérir un pourrait s'avérer être un très bon investissement. On note cependant que les modèles de la série "Masters" sont bien plus chers que les modèles classiques : un Speedy en toile Monogram coûte ainsi 760 euros, contre 2100 euros pour un Speedy Jeff Koons.
Les points négatifs
Si art et mode devraient collaborer plus fréquemment, on aimerait néanmoins que ces collaborations soient basées sur une envie commune de faire émerger un produit différent et audacieux, et non uniquement sur un business plan parfaitement rodé prenant l'art comme prétexte - via un artiste au statut de rock star - pour faire exploser les ventes de produits griffés à faible valeur "artistique" ajoutée.
Que Jeff Koons fasse de ses initiales le nouveau "LV" n'est en soi pas forcément dérangeant : l'artiste joue ici avec l'idée de contrefaçon et c'est assez jouissif de voir Louis Vuitton s'y soumettre. Ce qui est par contre légèrement urticant, c'est la suffisance de Koons qui le pousse à apposer à l'intérieur de ses sacs un dyptique composé d'une silhouette de lapin le symbolisant et du portrait de l'artiste dont l'oeuvre se voit représentée (Léonard de Vinci, Van Gogh, etc…). Des duos iconographiques qui mettent de fait sur un pied d'égalité un ex-trader déléguant la production de ses oeuvres à ses assistants au sein de son usine et des génies de l'acabit d'un Rubens. Une provocation graphiquement réussie, mais qui, au vu de l'ego démesuré de l'artiste, peut être légitimement prise au premier degré (ce qui lui fait perdre drastiquement de son piquant).
Aussi parfaitement réalisé soit-il, le produit en lui-même n'a pas grand-chose à envier visuellement parlant aux cabas souvenirs vendus dans les boutiques du Louvre. Or, si certains modèles s'en sortent mieux que d'autres, la version "Joconde" du Neverfull atteint quant à lui des sommets de "cheapness". Et si l'on se doute que ce style "babiole pour touriste égaré" est voulu par l'artiste et que cela fait intrinsèquement partie de cette "prise de risque" orchestrée par la maison parisienne, cela n'en reste pas moins assez laid...
En résumé
Cette collaboration est à mes yeux moins une rencontre entre mode et art qu'une opération ponctuelle entre deux entités aux visées mercantiles. Ce n'est ni bien, ni mal, mais néanmoins assez cynique...
Par Lise Huret, le 13 avril 2017
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