Céline, ou quand le business prend le pas sur l'air du temps
Depuis l'annonce de l'arrivée d'Hedi Slimane chez Céline, le fashion cosmos n'en finissait pas de fantasmer sur le fruit de la rencontre entre l'univers rock androgyne de leur démiurge torturé et celui de la femme Céline. Un suspens qui prit fin vendredi dernier…
Quelques jours après le premier défilé Céline version Hedi Slimane, il semble facile d'écrire que je ne me faisais aucune illusion sur la nature de ce dernier. C'est pourtant la vérité : je n'imaginais pas une seconde qu'Hedi Slimane, celui-là même qui fit retirer le "Yves" de "Yves Saint Laurent", qui ne tolère pas la moindre critique sur son travail, qui imposa par le passé à son équipe créative d'épuisants allers-retours Paris/Los Angeles et qui cultive une harmonie totale entre son travail de photographe et son esthétique de designer, puisse modifier d'une quelconque manière sa grammaire stylistique. Contrairement à un Karl Lagerfeld sachant habiller aussi bien la femme Chanel que la femme Fendi (et ce sans pour autant en faire des jumelles) ou d'une Phoebe Philo capable d'imaginer une femme Chloé, puis une femme Céline (les deux n'ayant rien à voir entre elles), Hedi Slimane ne semble pas avoir l'envie - ou la capacité ? - de créer des femmes différentes pour les maisons pour lesquelles il officie. Il faut dire que personne ne semble l'y pousser : en embauchant Hedi Slimane, Bernard Arnault a clairement stipulé qu'il souhaitait toucher une clientèle plus jeune, plus "cool". Autrement dit, le PDG de LVMH n'attend pas d'Hedi Slimane qu'il opère une mue créative potentiellement risquée, mais plutôt qu'il continue de faire ce qu'il fait de mieux : faire exploser le chiffre d'affaires de la griffe pour laquelle il officie en lui appliquant sa recette magique faite de rock, de sexyness, de "cool kids" et de tailoring androgyne.
Il est donc probablement ici uniquement question de business. Une fois que l'on a compris cela, nul besoin de s'interroger davantage sur la supposée "paresse créative" d'Hedi Slimane. Pourquoi en effet se forcer à faire évoluer son style, à se mettre en danger, à explorer d'autres manières de matérialiser l'énergie rock ou à essayer de se réinventer sans perdre son ADN lorsque l'on nous propose des millions pour délivrer une partition vue et revue ? Qu'importe enfin si l'esthétique d'Hedi Slimane chez Céline est la même que celle appliquée actuellement à la femme Saint Laurent (il reste d'ailleurs des pièces conçues par Slimane au sein des dernières collections Saint Laurent) ou si son casting famélique - voir ici, ici et là - apparaît incroyablement daté à l'ère de la célébration de la diversité des morphologies : cela ne semble guère inquiéter Bernard Arnault, qui n'est jamais apparu plus satisfait qu'à la fin du défilé Céline de vendredi…
PS : Quid de l'ancienne cliente Céline ? Si depuis l'annonce de l'arrivée d'Hedi Slimane, celle-ci envisageait sérieusement de migrer vers d'autres cieux, le show de vendredi lui a confirmé ses pires craintes : Phoebe is dead. Il ne lui reste dès lors plus qu'à aller tenter sa chance chez Lemaire, voire chez Sacai. A moins qu'elle ne décide de passer la fin de son existence à traquer sur eBay les pièces datant de l'époque où Céline rimait encore avec élégance cérébrale...
Par Lise Huret, le 01 octobre 2018
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