Miu Miu, le look viral
Mêlant top cropped et micro jupe plissée, l'ADN mi-Britney, mi-Manga de la silhouette phare du défilé Miu Miu printemps/été 2022 n'a eu de cesse de séduire les différents protagonistes de la fashion sphère depuis son apparition lors de la fashion week d'octobre 2021. Il est vrai qu'entre couvertures de magazines, photocalls hollywoodiens et comptes Instagram influents, celle-ci est rapidement devenue incontournable…
5 octobre 2021. Réflexions à chaud suite à ma découverte du passage 9 du défilé Prada printemps/été 2022 :Miuccia Prada a parfaitement intégré les règles édictées par Instagram : si elle donne l'illusion de dévoiler le bas de la poitrine via un top "croppedissime", elle prend soin d'éviter tout dévoilement intempestif de mamelon en faisant porter à ses mannequins un soutien-gorge chair. Les photos du défilé pourront ainsi être diffusées sans être censurées.
Nous sommes ici face à une silhouette d'écolière japonaise rebelle ayant à coeur de s'émanciper des règles établies en tailladant son uniforme scolaire. Une illustration assez basique de l'anticonformisme qui nous projette paradoxalement au coeur d'un autre conformisme, à savoir celui de l'hypersexualisation presque fétichiste du corps féminin.
Si la créatrice avait voulu célébrer la suppression de la tutelle paternelle de Jamie Spears sur sa fille Britney (accordée fin septembre 2021 par une juge californienne), elle ne s'y serait pas prise autrement. Difficile en effet en voyant défiler Rianne Van Rompaey de ne pas penser au look de la chanteuse du tube "Baby One More Time"…
Au vu de la ressemblance entre le look en question et cet ensemble Prada datant de 1999 (la même année que celle du clip de Britney Spears), force est de constater que Miuccia Prada cherche elle aussi à flatter la génération Z en remettant au goût du jour les années 2000. Au fil des mois, l'ensemble Miu Miu est peu à peu devenu viral au sein du paysage visuel fashion. Une omniprésence qui suscite aujourd'hui en moi de nouvelles réflexions :
Après être passés du podium Miu Miu à la campagne publicitaire de la griffe, puis être apparus au sein des magazines (Russh Magazine, ELLE, InStyle), la jupe et le top cropped - portés ensemble ou séparément - s'imposent actuellement comme la "it" panoplie des influenceuses/actrices (Zendaya, Chiara Ferragni, Emily Ratajkowski). Autrement dit, cette tenue que l'on pensait destinée à rester sagement cantonnée au papier glacé des Vogue et autres ELLE se fraie aujourd'hui un chemin vers la rue. Oui mais voilà : si le port de ce genre de toilette ne pose aucun problème lorsque l'on se trouve devant l'objectif d'un photographe ou quand on est invitée à un vernissage ultra branché, cela ne veut pas dire pour autant que l'on peut l'arborer au quotidien comme n'importe quelle tenue. Les rapports hommes-femmes ont beau avoir beaucoup évolué depuis la vague "Me Too", banaliser ce genre de tenue n'en accentue en effet pas moins les risques de malentendus…
Le point commun entre Paloma Elsesser et Nicole Kidman ? Avoir posé en couverture d'un magazine (iD pour l‘une et Vanity Fair pour l'autre) vêtue du fameux ensemble Miu Miu. Des couvertures qui firent rapidement le buzz de par leur parti pris consistant à faire revêtir ledit ensemble à des personnes inattendues. Malheureusement, le premier degré - dont fait souvent preuve la sphère mode lorsqu'il s'agit d'inclusivité - transforme ici en farce une idée a priori prometteuse…
En faisant de la photographie de Paloma Elsesser en mini-jupe et pull cropped un acte militant, iD se trompe en effet de bataille : l'enjeu de la représentativité des femmes rondes au sein du paysage fashion n'est pas de voir un modèle faisant du 52 porter la même tenue qu'une femme faisant un 34 (et inversement). Il ne suffit ainsi pas de décliner une mini-jupe en 52 pour être inclusif : il faut repenser complètement celle-ci afin de s'assurer qu'elle fonctionne parfaitement sur un 52 ; ce qui demande du temps, du travail et un vrai investissement. Le jour où l'on désirera un vêtement présenté par une mannequin "plus size" (parce que celui-ci serait bien coupé et bien porté), alors là oui on pourra parler d'inclusivité. En attendant, il ne s‘agit que de postures et de positionnements opportunistes…
De même, s'il aurait pu être décomplexant de voir une femme de 54 ans arborer l'ensemble Miu Miu, la couverture du Vanity Fair a en réalité l'effet inverse : fortement photoshopée, la photographie de Nicole Kidman apparaît irréelle, ce qui continue d'entretenir le mythe d'une jeunesse éternelle potentiellement accessible. Une erreur de jugement d'autant plus regrettable que l'actrice n'a pas besoin de ce genre d'artifice pour briller…
Cette tenue et ses jumelles (à savoir des duos jupe ultra taille basse/top ultra cropped) laissent songeur lorsque l'on connaît les positions féministes de la créatrice la plus cérébrale de sa génération. Parfaitement au fait du succès de sa ligne bis, celle-ci sait en effet pertinemment que ce qu'elle y propose aura un écho non négligeable. C'est donc a priori en pleine conscience qu'elle imagina des toilettes incitant la génération Z à arborer un look d'écolière ultra sexuée, mais aussi les femmes un brin plus âgées à s'affamer afin de pouvoir se permettre de dévoiler un ventre plat, voire creux. On n'ose d'ailleurs imaginer la routine - entre régime alimentaire strict, séances d'abdos quotidiennes et purge intestinale bihebdomadaire - qu'on dû s'imposer celles qui avaient pour objectif d'arborer un "six-pack" bien sec à l'entrée du défilé Miu Miu automne/hiver 2022 (voir ici, ici, ici, ici et là). Ce que nous dit Miuccia Prada en réalité, c'est que rien n'a changé : le jeunisme et la célébration des corps ultra minces et fermes sont plus que jamais d'actualité…
Par Lise Huret, le 14 mars 2022
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En quoi trouvez-vous que la photo "ne fonctionne pas" ? En quoi l'ensemble est-il ici "mal porté" ?
Je vous cite:
"il faut repenser complètement celle-ci afin de s'assurer qu'elle fonctionne parfaitement sur un 52 ; ce qui demande du temps, du travail et un vrai investissement. Le jour où l'on désirera un vêtement présenté par une mannequin "plus size" (parce que celui-ci serait bien coupé et bien porté), alors là oui on pourra parler d'inclusivité."
N'y a-t-il pas un biais inconscient dans cette analyse ? un problème de regard porté sur les formes qui "dépassent" ?
J'ouvre le débat sur ces biais, sans aucun jugement (on en a tous)